Uraniumgate: Toute la vérité sur une affaire qui refait surface

Le 12 mai 2023, les avocats de l’ancien Président du Niger Mahamadou Issoufou ont dénoncé dans un communiqué, la teneur d’un article « mensonger et difiamatoire » paru dans le numéro du quotidien « Africa Intelligence », ex-La lettre du Continent, publié en ligne le 27 avril 2023. Selon eux, cet article, intitulé « De Niamey à Lagos, sur les traces des millions perdus d’AREVA dans URANIUM GATE », « met gravement en cause l’intégrité » de leur client. En effet, selon Africa intelligence, des enquêteurs français et américains ont révélé que l’ancien dirigeant du Niger aurait reçu plusieurs millions de dollars US dans une affaire de vente à perte d’uranium où Areva (aujourd’hui Orano) a ventilé plus de 23 millions de dollars US. De quoi s’agit-il en réalité ? Toute la vérité sur une affaire qui refait surface d’année en année depuis 2011.

 

« Ces allégations sont dépourvues de tout fondement et portent violemment atteinte à la dignité, à l’honneur et à la considération du Président Issoufou Mahamadou, qui n’a à aucun moment participé à une quelconque transaction avec les sociétés ou personnes citées dans ledit article et n’ayant a fortiori jamais reçu les moindres fonds de leur part », ont écrit les avocats de l’ancien président du Niger dans le communiqué diffusé le 12 mai 2023. Avant de rappeler que le quotidien Africa Intelligence avait déjà commis le même forfait dans son édition du 23 janvier 2023 avec un article portant sur le Panel Sécurité et Développement au Sahel. Selon les conseils de l’ancien dirigeant, devant la persistance et l’extrême malveillance de ces allégations attentatoires à son honneur et à sa considération, relayées à outrance par le média français, ce dernier a décidé de porter plainte pour que justice soit rendue.

Tout serait parti de « l’Uraniumgate »

Le 16 février 2017, l’hebdomadaire nigérien Le Courrier publiait des documents qui porteraient sur la vente en 2011 « d’une très forte quantité d’uranium », pour 320 millions de dollars US (environs 200 milliards de CFA). Selon le confrère nigérien, dans cette transaction portée par Areva apparaît la Société du patrimoine des mines du Niger (SOPAMIN), contrôlée par l’Etat qui a été immédiatement soupçonné par l’opposition et une partie de la presse nigériennes d’avoir partiellement détourné cette somme.

C’est l’« Uranium Gate ». Une affaire qui concerne des soupçons de pots-de-vin versés à des responsables nigériens en échange de contrats miniers favorables à des sociétés étrangères. Mahamadou Issoufou était alors le président du Niger (2011 à 2021).

Une information qui avait fait réagir le régime à l’époque par le biais du ministre des Finances, Hassoumi Massoudou, qui lors d’un point de presse a apporté des éclaircissements quant aux tenants et aboutissements de ce dossier.

A l’époque, l’argentier du gouvernement du Niger avait déclaré qu’il s’agissait « d’une opération de trading ». Selon le ministre nigérien des finances de l’époque, en 2011 (ndlr, ils venaient d’arriver au pouvoir) Areva l’avait contacté pour l’informer de l’habitude qu’avait la firme française de faire du trading sur le marché de l’uranium (opérations d’achats et de ventes effectuées sur les marchés financiers pour de très courtes durées avec pour finalité la réalisation d’un profit). Selon lui, rappelle le journal d’investigation nigérien L’Événement, « il s’agit d’opérations instantanées et les petites différences qu’ils font en plus ou en moins sont leurs gains ou leurs pertes ». Le dirigeant avait à l’époque assuré que les représentants d’Areva avaient promis de « rétrocéder une partie de cette opération au Niger sans rien faire ». Et c’est ce qui avait été fait, avait-il expliqué.

Dans un article publié le 27 mars 2023, le média Africa Intelligence identifie OKI General Trading comme la structure qui a manœuvré les transactions bancaires de l’époque. En effet, pour les autorités américaines et françaises que cite le média dans son article « De Niamey à Lagos, sur les traces des millions perdus d’AREVA dans «  »URANIUM GATE* », OKI serait à la base de plusieurs virements dont ont bénéficié plusieurs acteurs dont le Président nigérien de l’époque. Selon ce confrère français, l’ex-président aurait reçu dans son compte bancaire à Dubaï un virement de 2,6 millions de dollars US en mars 2012. Un paiement qui constituerait un pot-de-vin dans l’affaire Uraniumgate ? Que nenni !

La vraie version

A en croire le très sérieux journal d’investigation nigérien L’Événement, dans sa parution du 20 février 2017, il s’agissait plutôt d’un montage financier visant à payer une rançon pour libérer des travailleurs d’Areva et de Vinci retenus en captivité par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). « Nous étions alors en 2011, quelques mois seulement après l’arrivée du président Issoufou Mahamadou au pouvoir. Son régime hérite du dossier brûlant de l’enlèvement par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010 à Arlit, de sept employés (Daniel et Françoise Larribe, Pierre Legrand, Marc Féret, Thierry Dol, Alex Kodjo Ahonado et Jean-Claude Rakotoarilalao) d’Areva et de Sogea-Satom, une filiale du groupe Vinci », explique le journaliste d’investigation Moussa Aksar.

L’article de L’Événement du Niger explique que Jean-Marc Gadoullet, ancien colonel de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE) de la France, par le biais de sa société dénommée OPOS (Opérations et Organisations Spéciales), a fait libérer, en début du mois de février 2011, trois des otages enlevés, à savoir la Française Françoise Larribe, le Togolais Alex Kodjo Ahonado et le Malgache Jean-Claude Rakotoarilalao en payant une rançon d’environ 13,5 millions d’euros que lui auraient procurée Areva et Vinci.

« Pour libérer les 5 autres otages restants, le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, s’appuie sur son homologue Issoufou Mahamadou du Niger, nouvellement arrivé au pouvoir, pour que ce dernier utilise ses réseaux qui seront épaulés par Pierre-Antoine Lorenzi, un autre négociateur, afin de faire libérer tous les otages », explique le confrère nigérien.

C’est un secret de polichinelle, ne pas payer de rançon aux terroristes pour la libération d’otages a toujours été la communication officielle de la France. Il fallait donc pour cela trouver un mécanisme permettant de contourner la loi afin qu’Areva puisse rendre gorge, condition exigée par les ravisseurs de ses employés. Et le journaliste d’investigation nigérien de conclure qu’à l’époque, partant des contrats signés entre Areva et le Niger en juillet 2011 (ndlr : trois mois seulement avant l’arrivée du président Issoufou au pouvoir), le principe du trading a été trouvé dans le but de couvrir l’opération pour le paiement du reste de la rançon.

Du faux pour la « bonne cause »

Pour ce faire, il y a eu tout d’abord la délivrance d’une « fausse facture » (le 25 novembre 2011, ndlr) de la société Optima Energy Offshore SAL au Liban à la SOPAMIN pour la vente de 5,5 millions de livres d’uranium, soit 319 millions de dollars, correspondant à 200 milliards de Fcfa. Selon L’Événement Niger, cette facture, adressée à M. Hama Hamadou, alors Directeur général de la SOPAMIN, atterrit curieusement chez Hassoumi Massoudou, Directeur de cabinet du président de la République au moment des faits. Celui-ci prit soins de la signer sans qu’aucun document officiel ne l’autorise, relate le journal. Ensuite, le même procédé a été utilisé pour un « faux virement » parti du compte de la SOPAMIN logé à BNP Paribas au profit de la société́ Optima, poursuit le journaliste nigérien.

Le journal d’investigation avait clairement décrit ce jeu d’écriture qui a servi à payer la rançon à AQMI. Évoquant un système circulaire de transaction de 5,5 millions de livres d’uranium : « D’abord, c’est Areva UG qui les vend à la société russe Energo Alyans. Cette dernière les revend à Optima Energy qui les revend à son tour à la SOPAMIN, elle aussi les revend finalement à Areva UG ». Un manège qui a permis de dégager la somme de 17,6 millions de dollars qui ont servi au paiement de rançon pour la libération des otages d’Areva.

Pourquoi douze ans plus tard l’affaire revient à la Une d’un média comme Africa Intelligence ? Selon l’entourage de l’ancien Président Issoufou, « tout porte à croire que le média français Africa Intelligence a un agenda inavoué visant à désinformer pour déstabiliser l’Afrique ». Notre source nigérienne proche du parti au pouvoir à Niamey rappel que « l’homme d’affaires Marocain Hassan Bouhemou, alors P-DG de la SNI, avait porté plainte contre le média pour diffamation ». Selon elle, le 18 mars dernier, Financial Afrik annonçait une plainte multiple pour diffamation portée le confrère Africa 24. Une plainte annoncée en effet par la chaîne de télévision comme un acte posé à contre-cœur qui ne vise pas à remettre en question la liberté d’expression mais plutôt à dénoncer les pratiques non professionnelles d’un confrère qui l’accuse de tous les maux d’Israël. Notre source continue l’égrainage du chapelet de griefs contre Africa Intelligence en rappelant que le 27 mars 2023, c’est le journal américain The New Yorker qui a révélé comment l’ancienne Lettre du Continent se fait l’échos d’informations fournies par des officines « d’intelligence économiques », comme Alp Services, sans se préoccuper des conséquences graves. Le site payant newyorkais explique comment le quotidien Africa Intelligence a été utilisé pour déstabiliser un homme d’affaires américain d’origine égyptienne.

Du côté de Niamey, la conviction est faite qu’Africa Intelligence fait dans la désinformation, et c’est la raison pour laquelle une plainte sera portée contre lui. Affaire donc à suivre.

Babakar Mohamed

Source : Matin Libre

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