Yahouédéou passé à la « guillotine  »: La 8eme législature goutte à ses lois non digestes et crisogènes

Comme dans une course de vitesse, le relai s’arrête pour le député du Bloc Républicain de la 24ème circonscription électorale, Janvier Yahouédéou. Après seulement trois mois passés au Parlement (12 février 2023_12 mai 2023) pour le compte de la neuvième législature, lui qui a suppléé à Hervé Hêhomey le titulaire élu, devra céder le siège au ministre débarqué du gouvernement. Janvier Yahouédéou sert ainsi de cobaye à l’expérimentation des dispositions (article 92) et (149) respectivement de la Constitution et du Code électoral révisés en 2019 par la huitième législature à laquelle il a appartenu.

 

Suivant l’article 92 de la Constitution, « Tout député nommé à une fonction publique, nationale ou appelé à une mission nationale ou internationale, incompatible avec l’exercice de son mandat parlementaire, suspend d’office celui-ci. Sa suppléance cesse à sa demande. ». L’article 149 du Code électoral quant à lui dispose : « Lorsqu’une vacance isolée se produit par décès, démission, empêchement définitif, le candidat suppléant personnel est appelé par le président de l’Assemblée nationale à exercer le mandat pour le reste de sa durée.

Tout député nommé à une fonction publique ou appelé à une mission nationale ou internationale, incompatible avec l’exercice de son mandat parlementaire, suspend d’office celui-ci. Son suppléant est appelé par le président de l’Assemblée nationale à siéger. Sa suppléance cesse à sa demande. ». C’est fort de ces textes notamment l’article 92 de la Constitution que l’ex ministre Hervé Hêhomey a fait l’option de faire mettre fin à sa suppléance en retournant au Parlement, lui qui avait choisi de rester au gouvernement avant qu’on ne le débarque quelques semaines plus tard.

Alors qu’il était déjà au gouvernement avant d’être élu député, Hervé Hêhomey qui s’est maintenu au gouvernement (au détriment du Parlement) avant d’être débarqué, peut-il retrouver son siège à l’Assemblée nationale ? La question a fait couler assez d’encre et de salive dans l’opinion. Qu’on soit juriste ou profane, les interprétations de la loi ne s’accordaient pas. Le comble, c’est entre parlementaires de la huitième législature ; ceux-là même qui ont adopté lesdits textes. Deux lectures se dégageaient. D’une part, ceux qui croyaient dur comme fer que l’ex ministre des Infrastructures et des transports ne pourra pas retourner au Parlement, et d’autre part ceux qui soutenaient qu’il n’y a pas de raison qu’il ne retrouve son siège. Dans le lot des premiers, figure le président de l’Assemblée nationale Louis Vlavonou qui estime, en réponse à la lettre à lui adressée par Hervé Hêhomey, que son retour ne peut être accepté puisqu’il avait démissionné de la fonction de député par une lettre de démission et non une lettre de suspension. C’est d’ailleurs cette fin de non-recevoir qui a poussé l’ex ministre à recourir à l’arbitrage de la Cour constitutionnelle. La décision de la Haute juridiction rendue publique le 12 mai 2023 l’a réhabilité.

Mais avant, il faut souligner qu’au titre des réactions sur ce retour ou non de Hervé Hêhomey à l’Assemblée nationale, il y a eu celles des députés Abdoulaye Gounou Salifou et Orden Alladation respectivement du Bloc Républicain et de l’Union progressiste Le Renouveau. « Les députés ont désormais la latitude de faire un va et vient entre le parlement et d’autres postes. Hèhomey a été élu. Il a été nommé ministre après son élection. Donc, dès qu’il est nommé, c’est que son mandat est suspendu d’office. Sa suppléance cesse à sa demande », avait fait savoir Abdoulaye Gounou Salifou à Bip Radio relayée par plusieurs autres médias. Pour ce député, juriste, enseignant de droit à l’université, une simple lettre de l’élu de la 24ème circonscription électorale, et il « revient automatiquement à l’Assemblée nationale ». Cependant, il bémolise : « il y a un peu des interprétations qui varient de part et d’autre.  Il y en a qui estiment que s’il avait adressé une lettre de démission, c’est qu’il ne peut plus revenir. Il devait envoyer une lettre de suspension. Moi je dis non, parce que la loi parle de suspension d’office ». Il poursuit, conscient que le cas Hêhomey est délicat : « Ici, il y a inversion des rôles. Il a été élu. Il n’y a pas eu de remaniement. Juste après l’installation, il a démissionné. L’article 92 ici, est mis en difficulté parce que l’article 92 décrit le cas de figure de l’accession à la fonction incompatible après l’élection. Mais ici, il était dans la fonction incompatible.  Et c’est de cette fonction qu’il était, il n’y a pas eu un remaniement. Il n’y a rien eu.  Ça dépendra des interprétations ». Abdoulaye Gounou s’en est donc remis à la Cour, tout en reconnaissant une faiblesse à la huitième législature : « C’est à la Cour constitutionnelle de nous situer (…), nous-mêmes, à vrai dire, on n’a pas pensé à cette variante-là ». Quant à Orden Alladatin, président de la Commission des lois qui s’adressait, dimanche 30 Avril 2023, à la diaspora à la faveur d’un échange organisé par la session UP le Renouveau du Canada et des Etats Unis, « dans le code, il est dit que la fonction du ministre est incompatible avec celle de député. Lorsqu’un ministre a été élu député, il a un mois pour décider d’être ministre ou d’être député », a-t-il rappelé en soulignant que Hervé Hêhomey a choisi d’être ministre plutôt que d’être député et a, à cet effet, adressé une lettre de démission pour renoncer à la fonction de député. Donc, pour Orden Alladatin, le problème est réglé et le débat d’un éventuel retour du ministre au Parlement ne devait pas se poser n’ayant jamais siégé en qualité de député de la neuvième législature. Le député de l’Union progressiste Le Renouveau, affirmait qu’on ne saurait parler de suspension de mandat électif, et donc le député Janvier Yahouédéhou maintient son mandat de député de la neuvième législature (site d’info l’Investigateur).

La décision de la Cour : un camouflet !

Après examen du recours de l’ex ministre Hêhomey, la Haute juridiction en matière constitutionnelle, avant de déclarer que le contenu de la lettre de Louis Vlavonou est contraire à la Constitution, a mentionné dans sa décision que « la suspension du mandat apparait comme une conséquence de la démission et on ne saurait opposer ici les deux notions ». Elle précise également que « cet article 92 confère lui-même un caractère provisoire à la cessation des fonctions en disposant que tout député qui se trouve en situation d’incompatibilité avec l’exercice de son mandat parlementaire suspend d’office celui-ci et que ‘’sa suppléance cesse à sa demande’’ » et que « le constituant n’a donc pas entendu organiser une occupation définitive du siège du député qui n’est appelé à cesser ses fonctions que provisoirement ». A l’analyse, à travers cette décision, la Cour prend le contre-pied de l’interprétation qu’ont les députés de la 8ème législature des dispositions qu’ils ont eux-mêmes votées. Un vrai camouflet au point où depuis le début du week-end écoulé que le « verdict » est tombé, plus aucune réaction dans leur rang. L’Assemblée nationale qui légifère laisse interpréter à sa place des lois qu’elle a elle-même votées, puis silence radio. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. C’est d’ailleurs ce qui irrite beaucoup de citoyens et d’observateurs de la chose politique et les confortent dans leur position quand ils soutiennent que la huitième législature a voté des lois non digestes et crisogènes. Surtout dans le champ politique ou électoral. Les conséquences des dispositions sur la création des partis politiques, le certificat de conformité, le quitus fiscal, la règle des 10% aux Communales et législatives, la désignation des maires et leurs adjoints, etc. sont encore vivaces dans les esprits.

A qui le tour ?

Aujourd’hui, c’est Janvier Yahouédéou qui fait les frais du caractère évasif des lois votées sous la huitième législature. Cette décision de la Cour constitutionnelle reste une jurisprudence qui laisse ainsi le boulevard ouvert à tout autre député titulaire démissionnaire. Il suffit qu’il se mette dans la peau de Hervé Hêhomey, il roulera en roue libre. Les ministres qui sont au gouvernement, et dans le cas de députés démissionnaires, n’ont donc plus de soucis à se faire au cas où le chef de l’Etat décidera de prendre congé d’eux au gouvernement avant 2026. Il suffit qu’ils formulent leur demande au Parlement. Le président de l’institution qui a désormais la bonne lecture des dispositions n’ira plus de midi à quatorze heures pour émettre son avis de non objection et les installer, par la suite. Et, salut les crises et querelles politiques entre partisans, titulaires et suppléants.

W.B

Source : Matin Libre

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