Bons tacticiens, forts de la qualité et de la discipline de leurs hommes regroupés sous leurs commandements dans l’unité la plus puissante des FAD, le sous groupement d’appui de Ouidah (49km de Cotonou), les jeunes Capitaines trentenaires Assogba et Aïkpé jouissaient par ailleurs de l’estime de leurs troupes dont ils sont très proches. Ils pouvaient compter sur elles pour tout ce qu’ils pouvaient leur « commander pour le bien du service et le succès des armées du Dahomey ».

 

Les soucis se sont faits jour quant aux suites politiques du putsch dont le succès était garanti à l’avance, en raison de la situation politique délétère et des divisions ethniques et diverses au sein des armées.

Assogba et Aïkpé avaient, dans leurs jeunes mains, un puissant outil militaire qui n’avait pas d’équivalent. Aucune résistance ni contre coup d’Etat, venant des unités militaires et de la sûreté à Cotonou, n’était possible, le virus de la division ethnico-régionaliste ayant aussi atteint l’armée.

Les deux ans (1970-1972) du mandat de Maga, le premier du triumvirat présidentiel n’avait fait que renforcer les fragilités étatiques, politiques, socioéconomiques multiformes, les problèmes structurels et le déficit de gouvernance qui minaient gravement le pays qualifié d’ »enfant malade de l’Afrique » en raison de ses crises et instabilités chroniques.

Dans cette ambiance politique délétère, la société civile, les associations, les hauts cadres politiques de l’époque, qui avaient leurs amis de même génération au sein des armées, étaient sérieusement préoccupés par la gouvernance calamiteuse du pays et la présidence tournante de trois mandats de deux ans chacun pré-attribués à chaque membre du Conseil présidentiel instauré par la charte de Savè de Mai 1970. Cette charte du Conseil présidentiel avait été imaginée par la junte du directoire militaire mise en place à la suite du putsch militaire opéré par le Lt. col. Kouandété contre Zinsou le 10 décembre 1969. L’état-major militaire s’était rallié à cet énième renversement de régime à condition que le pouvoir fût confié à l’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé, à l’époque le colonel Paul Émile de Souza, par ailleurs chef d’état-major de l’armée. Ce qui fut fait en quelques jours par des arrangements internes qui ont donné au directoire militaire présidé par de Souza assisté des lieutenants colonels Maurice Iropa Kouandété et Benoît Sinzogan, directeur de la gendarmerie.

La charte du Conseil présidentiel, « solution miracle » selon ses initiateurs, a été imaginée par les militaires pour contrecarrer leurs irruptions intempestives sur la scène politique, mettre un terme à l’instabilité politique et instaurer un régime civil. Mais l’architecture institutionnelle inédite avait cette faiblesse qu’elle était restée floue sur l’avenir de la gouvernance du pays à l’issue du mandat de six ans qui devrait expirer en 1976. Zinsou, lui aussi ancien président, devant participer à la formule, avait décliné l’offre. Il se susurrait qu’après les 6 ans, une longue période transitoire en quelque sorte, des élections générales seraient organisées pour désigner comme président, celui des membres qui aurait le mieux gouverné le pays. L’idée de cette élection dont les contours n’étaient pas précisés, avait fait naître des rivalités au sein du Conseil dès son investiture le 07 mai 1970. Par exemple, le président en exercice du Conseil avait l’arbitrage des nominations tout en se taillant la part du lion.

Pour les acteurs civils et militaires, cette solution de présidence à trois pôles politiques régionaux irréconciliables était une solution politique provisoire et ne pourrait durer encore jusqu’en 1976, soit 16 ans après les indépendances.

Les prémices

Dans ce pays, l’un des plus pauvres du continent dans toutes ses strates, politiquement divisé, économiquement exsangue et au bord du gouffre, soutenu à bout de bras par la France très influente, tous, sauf les clans au pouvoir, étaient unanimes qu’il fallait faire quelque chose d’autre et de nouveau. Quoi faire ? chacun avait son idée pour débloquer la situation et tenter un nouveau bond en avant.

La liberté d’associations permettait aux mouvements divers de réfléchir à la situation et de donner de la voix. Pour les cadres patriotes et leurs amis de la grande muette, les conditions politiques économiques et sociales d’un renversement du pouvoir étaient réunies et les divers protagonistes se concertaient au nez et à la barbe de la police, elle aussi divisée selon les clans. Son activité de renseignements généraux était paralysée en raison des orientations parfois contradictoires et politiques. M. Arouna Mama, ministre de l’Intérieur, proche de Maga, était flanqué de Viho Expédit, directeur de la sûreté, partisan de Ahomadégbé.

Le sous groupement d’appui de Ouidah était l’unité de choc des FAD. Formé de la crème de l’infanterie, il était composé d’une unité de commandos parachutistes sous les ordres du capitaine Aïkpé, des unités mécanisées et blindées commandées par le capitaine Assogba, par ailleurs, commandant la garnison de Ouidah. Il s’agissait des unités qui manœuvraient régulièrement ensemble pour accroître leur cohésion et leurs capacités de combat. Leurs exercices, selon la progression, s’effectuaient selon les axes Ouidah Comé-Ouidah-Tori.

Face à des supérieurs tous déjà anciens présidents de la République (de Souza, Alley, Kouandété) et ne voulant plus refaire l’expérience d’une nouvelle remise de pouvoir aux civils, ces jeunes brillants officiers, respectueux de la hiérarchie, qui ne voulaient pas garder le pouvoir pour eux, étaient à la recherche d’un leadership militaire fort et rigoureux pour redresser le pays au bord de l’abîme et d’une guerre civile. De par leur position militaire du moment, ils se voyaient plutôt dans la posture de chiens de garde du régime militaire à venir que d’en être à la tête.

Le choix de Kérékou s’impose

 Le chef de bataillon Kérékou leur apparaissait comme étant le meilleur choix pour prendre la destinée du pays et réaliser leur ambition de redressement politique et socioéconomique du pays.

Issu de la cohorte des derniers officiers de l’armée française formés à l’Ecole de Formation des Officiers Ressortissants des Territoires d’Outre-Mer (EFORTOM) à Fréjus, il a été reversé en 1960 dans la jeune armée dahoméenne et a vite gravi les échelons. À 39 ans,  officier de grande valeur professionnelle, diplômé d’état-major de Paris, (l’un des tous premiers), promu chef de bataillon en 1969 et, dans la foulée, chef d’état-major adjoint de l’armée en 1970 (sous le colonel de Souza), ancien aide de camp de Maga, ancien capitaine relativement effacé lors des précédents putschs, bien qu’ayant participé à tous les conseils militaires les ayant assumés, jamais ministre, faisait déjà un rare et excellent profil et jouissait d’un certain charisme pour la fonction suprême. De plus, il faisait preuve d’une retenue et d’un sérieux qui faisaient de lui un officier de type nouveau, qui emportait l’admiration de ses collaborateurs de Ouidah.

Kérékou faisait, de par ses qualités de chef militaire, la liaison générationnelle entre la vieille garde des officiers déjà auteurs de plusieurs coups d’Etat (1963, 1965, 1967, 1968, 1969) et la jeune génération d’officiers saint cyriens, intellectuels, ouverts aux changements du monde, produits par l’administration militaire du pays.

 Ayant fréquenté les mêmes lycées au Dahomey et formée en France comme leurs camarades civils, cette nouvelle génération de jeunes officiers avait une compréhension commune des problématiques du monde moderne et des réalités multiformes de leur pays ; ils n’hésitaient pas à en discuter avec leurs camarades civils dans des cercles d’amitié et de convivialité qu’ils fréquentaient.

C’est naturellement, que dans la planification politique du putsch, ils ont retenu remettre le pouvoir au commandant Mathieu Kérékou. Ils l’en avaient informé à titre de compte rendu, mais ce dernier ne s’était prononcé ni pour, ni contre, mais suivait l’activité de ses deux subordonnés entreprenants.

L’opération de putsch

Le jeudi 26 octobre 1972, vers 13h, sortie comme d’habitude pour une opération de routine, la colonne conduite par le capitaine Assogba mis le cap sur Cotonou qu’elle rallie vers 14h sans attirer l’attention des autorités gouvernementales en conclave hebdomadaire à la Marina. Le commissaire de police de Ouidah informé, aurait été instruit de s’abstenir d’informer le directeur de la sûreté nationale du mouvement des troupes vers Cotonou. La colonne atteignit la ville sans éveiller les soupçons sur l’opération. A l’église Bon Pasteur, cap a été mis sur le camp Guezo.

Après une courte escale au camp, la colonne se divise en trois sur des objectifs à capturer simultanément, le portail Nord du palais, la radio diffusion et le portail Est.

L’opération fut rondement menée, sans effusion de sang. Selon les témoins, au moment où les chars de tête de la première colonne enfonçaient les grilles du portail Nord, la deuxième colonne a pris la direction de la radio et la troisième a poussé pour prendre le portail Est. Les gardes surpris ont été désarmés alors que des parachutistes du capitaine Aïkpé, déjà à l’intérieur du palais par le portail Est, auraient mis la main sur les membres du gouvernement en conclave. Apithy en mission en France a échappé à la nasse.

 La radio, la Voix du Dahomey, capturée et sécurisée, a commencé par diffuser comme par le passé la musique militaire « pour annoncer le changement » de régime. Il était 15h.

Après la prise de contrôle du palais et la mise en sûreté du président Ahomadégbé et des membres du gouvernement, les auteurs du putsch réussi sont revenus à l’état-major pour leur rapport et les concertations en lien avec cette nouvelle prise de pouvoir. Entre temps, le capitaine Aïkpé a débarqué à Ganhi à la sûreté pour désarmer les policiers et s’assurer que l’ensemble de la garnison de Cotonou s’est ralliée au coup d’Etat.

La musique militaire diffusée en continue rappelait les épisodes des précédents coups d’Etat et en rajoutait à l’incertitude dans l’attente d’un message des nouvelles autorités militaires. Accrochés aux transistors grésillant, loin dans les contrées du pays, personne ne voulait rater aucun épisode de cette nouvelle page de l’histoire du pays qui s’écrivait.

À 20h30, la voix typique d’un militaire, qui sera connu le soir comme étant celle du chef de bataillon Mathieu Kérékou, annonçait à la fin de son discours un vibrant « Vive la Révolution »

Dans la foulée, la liste du gouvernement est publiée.

Douze membres, tous des officiers dont les chefs de bataillon Ohouens Barthélémy, Pierre Koffi, Michel Alladaye, les capitaines Assogba et Aïkpé, respectivement aux finances et à la sécurité.

L’arrivée au pouvoir des jeunes cadres des militaires et leurs alliés civils n’a pas stoppé les velléités putschistes des autres groupes d’officiers.

S’octroyant lui-même le portefeuille de la défense et le poste de chef d’état-major des armées, Kérékou, en nommant Alladaye, son adjoint à l’état-major, écarte certains de ses supérieurs, désactive d’autres en les mettant à la retraite d’office. Le 23 février 1973, Alley tente à son tour un coup d’Etat qui échoue et lui ouvre la porte de la prison avec beaucoup d’autres officiers.

 Gle Célestin Guidimey

Source : Matin Libre

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