Ainsi parla le prélat

C’était au matin d’un vendredi du mois de juillet 2022. Ce matin-là au réveil, remonté je ne sais d’où, l’énoncé mémorable de Monseigneur Isidore de Souza pénétra mes pensées : « Plaise au ciel qu’aucun bain de sain, qu’aucun bain de sang ne nous éclabousse et ne nous emporte dans ses flots ». La guerre russo-ukrainienne éclatée en fin février était au-devant de l’actualité. Et j’eus cette pensée, voilà encore un bain de sang de plus qui éclabousse l’humanité et pourtant 32 années en arrière en 1990 dans la dernière semaine du mois de février, la même semaine où cette guerre en Ukraine s’est amorcée en 2022, un esprit avait émis cette exhortation à ses compatriotes, aux vivants, quelque part en Afrique au cours d’assises nationales. Cet appel a fait le tour du monde, a inspiré de multiples dialogues nationaux et pourtant dans un lieu puis dans un autre les conflits n’ont cessé de s’enchaîner depuis lors. Ce fut bien après l’appel de Mgr Isidore de Souza au cours de la conférence nationale béninoise que le génocide rwandais eut lieu en 1994, que les guerres dans l’est du Congo furent enclenchées, que la première guerre du golfe fut déclenchée en 1991, les guerres en ex-Yougoslavie entre 1991 et 2001, la seconde guerre du golfe ou guerre d’Irak en 2003, les conflits en Afghanistan dès 2001 jusqu’en 2021, les conflits sanglants en côte d’ivoire dès 2002, puis en 2011, la guerre en Libye en 2011 etc. avec ses conséquences que sont les actes de terreur sanglants qui se perpétuent au Sahel jusqu’à nos jours … baignant des peuples dans le sang à travers le monde. La prégnance du souvenir de l’énoncé de Mgr de Souza en ma pensée fut si forte en cette journée là que je joignis ma sœur au téléphone pour lui demander si Mgr de Souza serait décédé au mois de juillet.

Elle me répondit non, qu’elle se souvenait bien que son décès survînt dans les environs de pâques donc soit au mois de mars ou avril. Je me dis alors que c’est peut-être l’anniversaire de sa naissance qui remonte à notre conscience par des fils d’une conscience irrationnelle insondable. Un contrôle sur wikipédia m’apprit que le prélat décédé le 13 mars 1999 était né à Ouidah le 4 avril 1934 et donc loin des jours de juillet. Profitant d’une pause en fin de matinée je décidai de m’informer quelque peu sur sa biographie sur internet. C’est alors qu’une lecture m’apprit qu’il avait été ordonné prêtre le 8 juillet 1962. Coïncidence ou synchronicité, nous étions le vendredi 8 juillet 2022 donc 60 ans jour pour jour après son ordination. Que pouvais-je faire d’autre que de communiquer cette commémoration par un moyen ou un autre ne serait-ce qu’à mes relations immédiates, sur les réseaux sociaux comme Facebook par exemple. Mission immédiatement accomplie. Mes réflexions revinrent alors ce jour-là à l’interrogation sur l’inaptitude pour l’humanité d’instaurer une civilisation adepte de l’énoncé du prélat, une civilisation où le respect et la préservation de la vie portée par la femme, enfantée dans la douleur par la femme et élevée jour après jour par la femme et l’homme dans le sacrifice jusqu’à l’âge adulte, que cette vie, la vie de chacun d’entre nous, la vie de tous, qu’aucune goutte de sang qui irrigue chaque vie humaine ne soit versée pour nulle raison au monde. Comment les nations pourront-t-elles inculquer le respect de ce principe fondamental aux citoyens si elles échouent à l’appliquer à leur niveau comme en témoignent les conflits armés. Verser le sang humain entre humains peut-il être une fatalité ? L’humanité au point où elle est parvenue devrait faire face à cette interrogation pour accéder à un rang de civilisation digne de ce nom. Il n’y a pas plus urgent devoir pour elle. Eradiquer les guerres ! En faire un interdit civilisationnel fondamental de l’espèce humaine. Car après toute guerre, vient toujours le temps de négocier la paix. N’était-ce pas en partie sous cette inspiration que l’artiste Angélique Kidjo adressait le 11 Novembre 2018 à Paris par l’interprétation de la chanson Blewu de la diva togolaise Bella Bellow, un message de paix et de patience à la délégation de 70 chefs d’Etat et de gouvernement lors de la commémoration du centenaire de l’amnistie de la guerre de 14-18 ?

Je me souviens de ces préceptes que nos pères et mères énonçaient dans leurs conversations à effet communicationnel et éducatif indirect envers les jeunes générations, envers nous. L’un des préceptes énonce que dès lors qu’un conjoint lève la main sur l’autre il y a violation d’un « sou »(interdit fondamental). Dès lors que le fils ou la fille profère des insultes à l’égard d’un de ses géniteurs, il y a transgression d’un sou. Et encore, jamais, au grand jamais un individu ou groupe d’individus ne sauraient jeter la pierre aux forces de l’ordre public. Car l’Etat est détenteur de tous les moyens de défense mis en ses mains par le peuple tout entier.

L’affronter par quelque moyen que ce soit est un non-sens et relève d’un interdit fondamental, un « sou ». Réciproquement les armes remises par le peuple aux mains de l’Etat pour sa protection ne sauraient jamais être retournées contre ce peuple. C’est dans le respect mutuel de ces principes, des devoirs réciproques qui en découlent que résident la paix et la concorde d’une communauté. Sur ces bases, toute communauté a le devoir d’instituer des voies dignes et pacifiques d’expression des désaccords et de les faire respecter scrupuleusement.
En généralisant, il s’agit pour l’humanité de poser les bases d’une mutation de la civilisation à léguer aux générations à venir. Transcendant les différences et les antagonismes divers, si nous ne pouvons amorcer maintenant les bases de cette renaissance ou régénérescence de l’espèce humaine à l’heure où les communications entre les individus et les sociétés de toute la planète sont quasi instantanées, nous aurons failli devant l’histoire. Il s’agit de nous engager ici et maintenant en vue d’exaucer à l’échelle mondiale la prière du prélat : « Nous sommes responsables de ce qui se passera demain ! Plaise au ciel qu’aucun bain de sang ne nous éclabousse … ».

G. Théophile Nouatin

Source : 24 HEURES AU BENIN

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