Bébé dans le kangourou plutôt qu’au dos: Une génération de mères en crise identitaire ?

(Une pratique entre mode et question de santé)

Mise au point. Il ne s’agit pas du kangourou, ce mammifère qui a une poche ventrale pour élever et transporter son petit. Il aura eu le mérite de prêter son nom à une méthode de portage de bébé dont raffolent les humains, les mères notamment qui la préfèrent au portage du bébé au dos. Aussi diversifiées soient les raisons, les implications de l’une ou l’autre des méthodes sur la santé, elles n’en savent pas grand-chose. Pourtant…

 

Le ton est grave. C’est à croire que le mot kangourou la transvase. Mémé Atindéhou à tout point de vue, a une grosse dent contre « les mamans modernes » qui mettent leur bébé dans le kangourou au lieu de le porter au dos. « Moi, je suis née au temps où le Bénin était appelé Danhomey. En notre temps, on ne connaissait rien de cette pratique. On mettait nos enfants au dos et ça permettait l’échange d’amour entre mère et enfant. De plus, l’enfant a de l’embonpoint. Il jouit d’une bonne formation musculaire et croissance », laisse-t-elle entendre en langue locale fon. Pour cette septuagénaire qui se réjouie de la grâce d’être arrière grand-mère et qui continue par porter ses petits-fils au dos, le kangourou, c’est pour les Blancs. Sans avoir eu à faire la médecine, elle soutient, suite à nos interrogations, que contrairement à ce qui se dit, le portage au dos n’a jamais créé les courbatures ou problèmes à la hanche. Confer: « Aux temps de ma mère, on portait l’enfant au dos même l’enfant de cinq ans bien corpulent. Une mère dont l’enfant fait la fièvre, quand elle le met au dos, il y a échange de température et la fièvre baisse ». En résumé, pour mémé Atindéhou, le kangourou reste une convoitise des femmes modernes.

De son côté, même si mémé Caroline Aza n’est pas encore arrière grand-mère, elle a tout de même le privilège de porter ses petits-fils au dos. Une méthode qu’elle n’a de cesse de conseiller à ses filles qui, elles, sont réticentes. « Dans notre tradition, on porte l’enfant au dos. Et ce dernier se familiarise à l’odeur de sa mère, à son amour et s’attache vite à elle. Je n’ai jamais porté mes enfants dans kangourou. Et Je continue par porter mes petits-fils au dos malgré mon âge. Je n’ai aucun problème de santé. Même en notre temps, quand bien même ce sont des jumeaux, c’est toujours avec le pagne qu’on noue un au dos et le second devant », soutient-elle.

Une affaire de generation et de civilisation

En milieu urbain, l’usage du kangourou s’observe notamment chez des filles-mères qui préfèrent y mettre leur bébé qu’au dos. Elles rivalisent de marques, de couleurs, de formes. Plus tendance, plus fashion, elles se confient sans ambages.

« Je préfère le kangourou. La nouvelle génération, on n’est plus trop dans le temps de nos mamans qui préféraient le pagne. Kangourou ça fait chic, ça permet d’avoir son bébé devant. Maintenant, le pagne, on peut l’utiliser quand on est à la maison. Mais pas tout le temps. Moi, je le dis à cause de mes seins. Ils vont vite tomber. Le kangourou aussi, je vais l’utiliser par nécessité quand je vais vouloir sortir. Moi, je tiens à mes seins. C’est ce que j’ai de plus cher sur mon corps”, expose N. A, 26 ans, Secrétaire de direction, célibataire sans enfant.

Moins incisive, Gloria Nambi utilise les deux méthodes. Mère de trois enfants, elle confie, toutefois, avoir plus de penchant pour le kangourou. « Ça me paraît plus esthétique pour les sorties. Ça apporte une valeur. En plus, le kangourou me paraît plus sécurisant. J’ai l’œil sur mon bébé. Le pagne, c’est pour mes petites courses dans le quartier.  Avec le pagne, on essuie souvent des insultes en ville. Si ce n’est les pieds qui sont mal attachés, c’est la tête qui est penchée ou ci ou ça », déclare-elle. Et, tout comme elle, Fortunée Gbenankpon n’oubliera jamais toutes ces nombreuses injures dont elle a toujours été objet en ville, sur un taxi-moto, le bébé au dos. Elle reconnaît, toutefois, qu’elle a du mal à utiliser le pagne pour porter son bébé au dos. Ceci, malgré les notions apprises, et de sa mère, et de sa sœur aînée, qui l’aident bien souvent dans la manœuvre. Elle confie qu’elle a peur qu’en pleine circulation, le pagne se défasse et que son enfant tombe comme c’est déjà arrivé à d’autres. D’où son choix « naturel » pour le kangourou, en plus de ce qu’elle a une colonne vertébrale mal en forme, ajoute-t-elle.

Qu’en dit la médecine?

D’entrée, le Gynécologue-obstétricien, Olivier Sambieni, rassure que sur le plan gynécologique, le fait de porter les enfants au dos ou dans le kangourou, n’a pas un lien direct avec l’appareil génital de la femme. « Il n’y a pas de répercussions », soutient-il.

Et, même si peu d’études ont été faites sur le sujet, aux dires de la Kinésithérapeute qui, de par ses recherches, n’a vraiment pas trouvé d’éléments sur la comparaison entre les deux façons de faire, il n’en demeure pas moins, souligne-t-elle, que les avantages sur le port au dos sont liés à la prévention de la dysplasie développementale de la hanche. « Mais je n’ai pas beaucoup d’éléments à part ça. Et par rapport au kangourou, les hanches sont aussi en abduction rotation latérale comme l’enfant au dos. Donc, ça doit aider aussi à cela. Sur base des mécanismes physiopathologiques et les prévalences élevées rapportées chez les asiatiques qui mettaient les enfants dans des ports artisanaux qui maintenaient les hanches en adduction, les enfants développaient la dysplasie », nous apprend-elle.

Médecin-chef de la commune Bantè, Dr Elisée Sessi kinkpé, se fait plus explicite. En néonatalogie, souligne-t-il, la méthode kangourou qui est conseillée et qui présente des avantages pour le nouveau-né est celle qui consiste à mettre l’enfant peau à peau avec sa mère (l’enfant posé, la tête en région mammaire de la mère et les pieds écartés sous les seins, enfant dévêtu seulement dans la couche). Cette position à travers le contact peau à peau permet, poursuit-il, de stimuler l’enfant évitant ainsi les apnées, de le réchauffer évitant ainsi l’hypothermie, d’améliorer le lien mère-enfant, permettant à la mère d’avoir un œil sur son nouveau-né, évite aussi les infections, l’hypoxie pour le nouveau-né. « Cette pratique est indiquée en pédiatrie pour les enfants prématurés ou de faible poids de naissance », nuance Dr Kinpké pour qui, « La mise de l’enfant au dos reste utile notamment pour le lien mère-enfant, réchauffer l’enfant. Toutefois, cette méthode est moins stimulante que la méthode kangourou avec une attention moins soutenue. Contrairement à ce qui est recommandé en néonatalogie, la pratique courante est de mettre l’enfant tout habillé dans la pochette kangourou. On voit bien ici que l’avantage, c’est surtout une attention de la mère sur l’enfant avec aussi une stimulation mais le contact naturel n’est pas objectivé. Néanmoins, on ne saurait le déconseiller car permettant à la mère d’avoir un contact avec son enfant.

L’essentiel étant que la mère ait une relation fusionnelle avec son nouveau-né ». En résumé, à écouter le Médecin-chef, en dehors des indications médicales de la méthode kangourou, la pratique courante présente des avantages mais très peu d’inconvénients. La mise au dos est légèrement moins avantageuse sur l’aspect avoir l’œil sur l’enfant mais permet aussi l’élaboration du bon lien mère-enfant.

En pédiatrie, ses avis sont approuvés. Pour le pédiatre  Mariano Amoussou, les avantages du portage au dos chez la mère sont : « Pas couteux et pratique, accessible à tous et ne nécessite qu’un pagne ; renforce le lien affectif entre la mère et l’enfant grâce au contact physique ; offre une meilleure autonomie à la mère et lui permet de vaquer plus facilement à ses ococcupations, facile d’utilisation pour la femme enceinte, permet de porter l’enfant plus longtemps avec diminution du risque d’avoir des douleurs lombaires. Chez l’enfant, les avantages sont : favorise la participation précoce de l’enfant à la vie active, apaise l’enfant qui se sent en sécurité, position idéale pour le bon développement psychomoteur de l’enfant, simulation des fonctions sensorielles de l’enfant qui voit les mêmes choses que la mère, corrige la luxation congénitale de la hanche, réduit le risque de reflux gastro-œsophagien ».

« En ce qui concerne les avantages du porte-bébé kangourou, chez la mère, c’est qu’il est plus esthétique, présente presque les mêmes avantages que le portage au dos à l’exception de la facilité d’utilisation chez la femme enceinte, la diminution du risque de douleurs lombaires. Quant-à l’enfant, il favorise la transition dans le monde en imitant l’utérus. Les autres avantages sont similaires à ceux du portage au dos », énumère Dr Amoussou.

S’agissant des inconvénients du portage au dos, il a laissé entendre, qu’il n’a presque pas d’inconvénient. Pour ce qui est de l’usage du kangourou, les inconvénients chez la mère est que le porte-bébé à un coco et offre moins d’autonomie surtout si l’enfant est porté devant. Chez l’enfant, les inconvénients se résument au fait que le portage face au monde nécessite que l’enfant puisse tenir correctement sa tête, idéalement à partir de 6 mois.

Et du Pédiatre à la Nutritionniste, les versions ne changeront pas. Dr Floriane A. va néanmoins souligner que, le kangourou est plus sécurisant si la mère est sur moto. L’enfant est donc au milieu et n’est pas à risque si un accident devrait subvenir, évoque-t-elle. N’en demeure, selon ses explications, qu’avec le kangourou et en fonction du poids du bébé, il faudra compter avec des douleurs à l’épaule. « Ce que je vais peut être proposé, c’est la méthode qui consiste à attacher l’enfant avec le pagne mais devant. Genre, la position kangourou mais à la place du kangourou, préférer un pagne. C’est bon pour l’état de santé de la mère et de l’enfant », conseille-t-elle.

 C’est aussi une question identitaire

Ludovic K. N’tcha est Docteur en sociologie du développement. Depuis le temps de nos parents, dans les cultures africaines, relève-t-il, nouer le pagne est culturellement parlant, significatif. C’est un fait qui est observé dans la société africaine et qui avait une valeur dans notre société. « Et dans l’éducation de l’enfant fille, il y avait déjà cette façon d’apprendre à l’enfant à nouer le pagne et même lui faire porter un enfant fictif dès le bas âge pour lui montrer que dans le processus d’évolution de la femme, elle aura, à un moment donné de sa vie, à porter un enfant au dos », renseigne le Sociologue.

Dans la société africaine, ce qui est accepté, fait-il observer, c’est de pouvoir savoir bien nouer le pagne et ce, selon la communauté dans laquelle on se trouve parce que la façon de nouer le pagne n’est pas la même partout.

Toutefois, poursuivant, il a confié que, cette éducation, cette socialisation au cours de laquelle on apprend à l’enfant fille à bien nouer le pagne, comment porter le bébé au dos avec le pagne, c’est quelque chose qui a évolué dans le temps. Les habitudes vestimentaires qui consistaient à valoriser le port du pagne ont évolué avec le temps parce que de plus en plus, les communautés quoiqu’on en dise, adoptent de nouvelles façons de s’habiller, de nouveaux modèles.  Le brassage culturel n’est pas seulement au niveau africain. Le brassage est aussi le contact avec ce qui se fait de l’autre côté de la mer, dans les pays occidentaux. Cette éducation où les mamans transmettaient cette pratique de mettre les enfants au dos avec les pagnes, c’est une pratique qui s’effrite et qui a été influencée par de nouvelles modes vestimentaires, de nouvelles cultures dues au brassage culturel.

« Aujourd’hui, les gens s’adaptent à ce qui s’impose à eux. Les jeunes filles ont adopté des modèles de vêtements qui font que nouer le pagne sur ces vêtements-là, ne cadre pas et ça ne permet pas de valoriser cet habit-là. De plus en plus, on note l’influence des Tic, des médias, des feuilletons. Et, c’est le kangourou qui permet plus de valoriser ce vêtement-là. Il y a d’abord cette particularité qui fait que le kangourou s’impose », apprécie Dr Ludovic N’tcha.

Par ailleurs, dans son manteau d’observateur, il va révéler que l’autre chose immédiate qu’il faut mettre en exergue par rapport à cette tendance à plus aller au kangourou qu’au portage au dos, c’est qu’il y a l’éducation qui a pris un coup.  Il y a aussi la législation qui permet aussi de ne plus toucher un enfant avec un fouet. Aujourd’hui, les enfants ont la liberté de choix sur presque tout. La maman ne peut plus obliger son enfant à adopter telle ou telle méthode. La législation encadre cette liberté-là.

Sous un autre pan, s’interroge Dr Ludovic N’tcha, est-ce que cette pratique-là est encadrée par le Ministère de la culture? Que propose le système, le pays, le Ministère de la culture pour conserver les pratiques culturelles comme le portage de l’enfant au dos avec le pagne? Qu’en disent les têtes couronnées pour continuer d’encourager cette pratique dans les sociétés, les différentes cultures béninoises?. Pour l’homme, c’est ce qui pouvait permettre de la perpétuer. « On a vu avec la Chine, on a vu avec l’Inde, comment les gens sont retournés à leur culture, leurs pratiques culturelles et où ça les a menés en terme de développement », va-t-il conclure.

Cyrience Fifonsi KOUGNANDE

Source : Matin Libre

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