Bénin/Lutte contre le harcèlement sexuel: Au-delà de la volonté, criminaliser l’infraction (L’Upmb affiche ses ambitions)

Au Bénin, à 90%, il n’y a pas de peine privative de liberté pour le harcèlement sexuel. Là-dessus, Me Prisca Layo Ogoubi, Avocate au Barreau du Bénin, Secrétaire générale de l’Association des femmes avocates du Bénin (Afab) est formelle.  De quoi dresser les cheveux sur la tête de nombre de femmes professionnelles des médias…

 

L’information a, en effet, filtré, au cours d’une formation sur ‘’Les mécanismes de détection et de dénonciation du harcèlement sexuel dans les médias’’. Formation organisée par l’Union des professionnels des médias du Bénin (Upmb). Ceci, dans le cadre de la mise en œuvre du Projet ‘’Non au harcèlement sexuel dans les médias au Bénin’’ soutenu par l’UNESCO. « Malheureusement, c’est la législation qui l’a prévu ainsi. Le maximum de la peine, c’est deux ans. Généralement, personne ne va en prison », fait savoir Me Prisca Layo Ogoubi.

A 90%, évoque-t-elle, il n’y a pas de peine privative de liberté pour le harcèlement sexuel. Encore moins, de fichier pour retracer, pour mentionner. Pas de traçabilité de l’infraction. C’est dire que le casier judiciaire demeure vierge avec tous les avantages que cela donne au harceleur reconnu par la justice comme tel. Un état de fait qui plombe les efforts de lutte contre le phénomène. Déjà que la victime a fort à faire avec le poids de la société, déjà qu’en arriver à réunir les preuves se révèle complexe, voir son harceleur qu’elle aura eu le courage de dénoncer, libre de ses mouvements, jouissant toujours des mêmes privilèges qu’un citoyen honnête devient frustrant et décourageant. « Le plaidoyer doit pouvoir aller dans ce sens. Quand on va à des révisions de textes, c’est sur ces aspects là qu’il faut se positionner », va signifier la Secrétaire générale de l’Association des femmes avocates du Bénin.

A l’entendre, le harcèlement sexuel est réglementé au Bénin par : la loi N° 2006-19 du 05 septembre 2006 portant répression du harcèlement sexuel et protection des victimes ; la loi N° 2011-26 du 09 janvier 2012 portant prévention et répression des violences faites aux femmes ; la loi N° 2017-20 du 20 avril 2018 portant code du numérique ; la loi N° 2018-16 du 28 décembre 2018 portant code pénal en République du Bénin ; la loi N° 2021-11 du 20 décembre 2021 portant dispositions spéciales de répression des infractions commises a raison du sexe des personnes et de protection de la femme en République du Bénin. « Le texte de 2006 prévoyait des sanctions pénales. Mais elles sont tombées en désuétude après l’avènement du Code pénal de 2018 », fait-elle savoir.

 

Les sanctions pénales

Aux dires de Me Prisca Layo Ogoubi, les sanctions pénales en vigueur sont celles prévues par la loi sur le numérique d’une part et celles prévues par le Code pénal d’autre part. Citation : «L’Article 550 alinéa 2 de la loi n°2017-20 du 20 avril 2018 portant code du numérique relatif au harcèlement par le biais d’une communication électronique prévoit une peine d’emprisonnement de un (01) mois à deux (02) ans et d’une amende de cinq cent mille (500 000) Francs Cfa à dix millions (10 000 000) de F Cfa, ou de l’une de ces deux peines seulement. L’Article 550 nouveau de la loi N°2021-11 du 20 décembre 2021 portant dispositions spéciales de répression des infractions commises a raison du sexe des personnes et de protection de la femme en République du Bénin dispose qu’est puni d’une amende de cinq cent mille (500 000) Francs Cfa à un million (1 000 000) F Cfa et d’un emprisonnement d’un (01) à deux (02) ans, ou de l’une de ces deux peines seulement, l’auteur de l’infraction de harcèlement.

L’Article 551 nouveau de la loi N°2021-11 du 20 décembre 2021 portant dispositions spéciales de répression des infractions commises a raison du sexe des personnes et de protection de la femme en République du Bénin dispose que lorsque le harcèlement sexuel est commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la victime ou par un enseignant ou formateur sur son apprenant ou commis sur un mineur, l’auteur est puni d’un emprisonnement de trois à cinq ans et d’une amende de 1.000.000 F Cfa à 5.000.000 F Cfa… En cas de récidive la peine est portée au double…».

Et, soulignons que là déjà, on a juste parlé de récidive, c’est à dire la deuxième fois. Quelle peine doit-elle être portée au double alors ? Est-ce celle de la deuxième fois qu’il faut multiplier ou la peine de la première fois, quand partout où l’individu passe, il fait des victimes ? «La loi n’a rien dit», confie Me Prisca Layo Ogoubi.

 

Billets de banque et après ?

Si pour le législateur, «Toute forme de harcèlement sexuel constitue une infraction quelle que soit la qualité de l’auteur ou de la victime et quel que soit le lieu de commission de l’infraction…», il ne faut plus seulement réduire l’infraction aux billets de banque pour rendre justice à la victime. Il faut arriver à trouver la formule pour que le coupable subisse les deux peines (amende et emprisonnement) et non l’une d’entre elles seulement comme l’exige la loi en vigueur. En réalité, lutter efficacement contre le phénomène qui, malgré les efforts, à la peau dure, appelle à corser la peine. Les conséquences en effet, du harcèlement sexuel sur sa victime, ne sont pas négligeables.

D’après une étude de l’INRS, il est rapporté, des troubles psychiques sous la forme de dépressions nerveuses ; des symptômes d’épuisement professionnel ; de la détresse psychologique. On parle aussi de stress chronique, se manifestant en particulier sous la forme de symptômes physiques tels : les coliques, maux de tête, douleurs musculaires, articulaires, troubles du sommeil, de l’appétit et de la digestion, sensations d’essoufflement ou d’oppression, sueurs inhabituelles. Le harcèlement sexuel a également un impact sur l’estime de soi ; les trajectoires professionnelles des victimes et leurs revenus. Il est dénoncé des cas d’isolement et de suicide.

La victime, pour les moins braves, se recroqueville sur elle-même, se ferme tout accès à l’employabilité, bienvenue le chômage. D’autres s’installent à leur propre compte quitte à se lancer dans une autre activité pour satisfaire à leurs besoins vitaux. Le rêve de carrière est abandonné. Le développement de la Nation est compromis. Tous les efforts pour la scolarisation des filles deviennent une chimère. A cette allure, comment en arriver à respecter l’équité genre si le peu de femmes qui émerge, doit abandonner son rêve ? Ne serait-il pas temps que l’on touche au casier judiciaire d’un harceleur reconnu comme tel ? Le harcèlement sexuel doit cesser d’être perçu comme un délit. Il reste un crime contre la personne harcelée. Il faut pouvoir y aller et maintenant.

 

Encadré

 

L’Upmb dans la danse

 

Zéro harcèlement sexuel dans les médias au Bénin. C’est le but de l’Union des professionnels des médias du Bénin présidée par Zakiath Latoundji. Avec le soutien de ses partenaires dont l’Unesco, elle a initié, au mois d’août dernier, des formations à l’endroit des femmes des médias des parties Sud et Nord du Bénin. Une formation qu’elle entend étendre à toutes des parties prenantes du secteur des médias.

Déjà, au soir de la formation sur ‘’Les mécanismes de détection et de dénonciation du harcèlement sexuel dans les médias’’, les comités de veille et d’alerte sur les Violences basées sur le genre (Vbg) dans les médias, Section Sud Bénin et Nord Bénin sont mis sur pieds. Ceci, dans le cadre de la mise en œuvre du Projet « Non au harcèlement sexuel dans les médias au Bénin’’ soutenu par l’Unesco. Leurs principales missions sont : écouter les femmes des médias victimes ou témoins d’actes constitutifs de Vbg ; collecter et transmettre à l’Upmb ou ses bureaux régionaux, les documents, plaintes et toutes autres informations pertinentes relatives aux Vbg dans les médias de la zone de couverture ; appuyer l’Upmb et ses bureaux régionaux dans la sensibilisation et l’assistance des femmes des médias victimes de Vbg.

 

Des recommandations

Des recommandations ont été également formulées à l’issue des ateliers de l’Upmb sur le harcèlement sexuel. Il s’agit de : mettre en place une cellule dans nos rédactions qui s’occupera de tout ce qui concerne les actes de harcèlement sexuel (recensement des cas, sensibilisations, dénonciations et autres) ; éviter de faire preuve d’incompétence et de se laisser influencer par les privilèges ; mettre en place une politique anti-harcèlement au sein des rédactions ; créer un organe au sein de l’Upmb afin de permettre aux femmes victimes qui ont peur de dénoncer, d’avoir des personnes de confiance à qui s’adresser et poser leurs préoccupations ; former les femmes Professionnelles des médias sur le fait que rien de concret ne s’obtient par le sexe puisque, aujourd’hui, elles sont souvent très jeunes donc immatures.

 

Cyrience Fifonsi KOUGNANDE

Source : Matin Libre

Laisser un commentaire

Au quotidien

avril 2024
L M M J V S D
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
2930  

Archives