Conflits armés en Afrique/Cas du Niger: Le lourd tribut pour les populations, les intérêts pour les gouvernants

Les regards sont tournés vers la République sœur du Niger depuis quelques jours. Le président Mohamed Bazoum déchu de son pouvoir par les militaires qui dictent désormais la loi dans ce pays déjà enclins à d’énormes problèmes sécuritaire, économique et social. Face à ce coup de force militaire que plusieurs personnalités et la Communauté internationale ont dénoncé, la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) entend rétablir l’ordre constitutionnel à n’importe quel prix. Depuis lors, les sommets sur la situation du Niger se multiplient. Lors d’une rencontre extraordinaire tenue, ce 10 août 2023 à Abuja au Nigeria, les chefs d’État et de gouvernement de l’institution sous-régionale choisissent de privilégier d’abord la voie de la diplomatie et de la négociation mais l’option militaire reste toujours sur la table puisque la force en attente de la CEDEAO est activée et son déploiement ordonné. La junte militaire nigérienne doit remettre au plus vite le pouvoir et retourner dans les casernes. Une décision controversée qui suscite des remous au sein des populations nigérienne et dans les pays membres de l’institution. Les militaires nigériens quant à eux, ne l’entendent pas de cette oreille et déjà, se trouvent des alliées qui les soutiennent dans la riposte. Le compte à rebours est lancé. Face à cette escalade de tension, les commentaires vont dans tous les sens pour juger de l’intérêt d’une intervention militaire de l’institution sous-régionale africaine. Bien que le coup d’État soit condamnable, beaucoup se demandent si une intervention militaire est aussi la solution pour rétablir l’ordre constitutionnel. Mais la vraie question qui mérite d’être posée est de savoir ce qu’il en serait de la population, ces jeunes, femmes, enfants, personnes du 3e âge qui sont, en effet, les vraies victimes des conflits. La preuve est que depuis ce coup d’État le 26 juillet 2023, c’est d’abord cette population nigérienne qui subit dans sa grande majorité les sanctions infligées par la communauté internationale. Des sanctions qui mettent à rude épreuve leurs activités économiques déjà plombées par de nombreux problèmes liés à la pauvreté et aux exactions de groupes djihadistes qui violent et tuent sous le regard impuissant des autorités et de cette même communauté internationale. C’est cette même population qui subira d’abord les lourdes conséquences, voire dramatiques d’une guerre qui se profile à l’horizon.

Les exemples sont légion. Les chiffres font froid dans le dos que ce soit en Afrique ou au-delà. Questionnons l’histoire pour revisiter les dommages collatéraux de certains conflits tristement célèbres qui ont décimé les populations, dont la douleur reste encore vive et qui pourtant, n’interpelle pas la conscience collective.

Des chiffres qui font froid dans le dos

Le conflit sierra-leonais des années 1990 a causé la mort d’environ 75 000 personnes. Un demi-million de personnes réfugiées et plus de 2 millions de déplacées, selon la revue « Perspective Monde » publié le 2 novembre 2008. Un chiffre qui représente environ 44 % de la population. Les populations ont subi dans cette guerre, les pires atrocités de groupes rebelles qui n’avaient d’yeux que pour le diamant. Les rebelles leur amputaient délibérément les mains pour les empêcher de vaquer à leurs occupations afin de rester à leur solde. Le film Blood Diamond de l’américain Edward Zwick avec comme principaux acteurs le Béninois Djimon Oussou et l’Américain Leonardo DiCaprio est une parfaite illustration de la réalité du conflit sierra-leonais avec des milliers d’enfants soldats et des femmes et filles transformées en esclaves sexuelles qui sont violées et massacrées. Ceux qui ont pu avoir la vie sauve vivent le restant de leur vie avec les séquelles, si entretemps ils ne se sont pas suicidés pour s’être vus rejetés par la société et la famille.

Il en est de même au Liberia et en Angola toujours dans les années 1990. La guerre civile au Liberia a duré près de 14 ans avec 250 000 morts entre 1989 et 2003. Un conflit atroce avec massacres, viols, actes de cannibalisme et recrutement forcé d’enfants soldats. Je vous épargne du génocide rwandais qui a fait plus d’un million de morts en 1994. Combien en pâtiront cette fois-ci au Niger si l’intervention militaire est effective? Combien de réfugiés? Combien de victimes de guerre ? Combien…? Combien…? Nous trouvons toujours les mots pour justifier ces coups de force ou ces interventions militaires sans pour autant prendre véritablement en compte les conséquences si dramatiques sur les populations. Pourvu que les intérêts de quelques-uns soient sauvegardés. Le reste n’est que des détails. Non, ces atrocités sur les populations ne peuvent être considérées comme moins importantes.

 

Le plus dur reste à venir…

Si ces quatre pays (Sierra-Leone, Liberia, Angola et Rwanda) ont l’air de s’être relevés de la guerre et tentent vaille que vaille de se reconstruire depuis quelques années, ce n’est pas le cas pour d’autres. Le ciel continue d’être fumant pour la Libye, la Centrafrique, le Soudan, le Congo, l’Erythrée, l’Haïti en Amérique du Nord ou tout récemment encore l’Ukraine sur le continent européen. Ces pays continuent de compter leurs morts. Le conflit reste ouvert chez les uns et dormant chez les autres avec menace permanente d’une implosion. Les exactions sur les populations surtout les femmes et les filles qui sont les plus vulnérables lors de ces conflits restent toujours d’actualité. Le principe de la sacralité de la vie est bafoué par des gens qui n’auraient jamais accepté de vivre ces atrocités qu’ils font subir aux populations. La vie humaine est sacrée, dit-on, et doit toujours être protégée. Dieu a donné aux hommes l’autorité de tuer et de manger les autres formes de vie (Genèse 9.3), mais le meurtre d’un autre homme est strictement interdit sous peine de condamnation. Ce principe de la vie ne dit absolument rien aux apologistes de la guerre qui considèrent celle-ci comme une bonne décision politique pour asseoir la paix. Soit! Mais une paix qui ne verra jamais le jour dans plusieurs cas.

 Face à ce tableau sombre, il est important de se demander s’il faut vraiment continuer à avoir recours à la force pour régler des questions d’ordre politique. Si la réponse est affirmative, il faudra alors supprimer de notre vocabulaire les mots tels que négociation, diplomatie, pourparlers, dialogue et autres qui n’y auraient plus visiblement leur place.

 

 La guerre est-elle la solution ?

Si vis pacem, para bellum. Si tu veux la paix, prépare la guerre, selon une locution latine. La guerre comme solution pour ramener la paix, selon un général américain, « vous devez tuer des gens, et quand vous en avez assez tué , ils s’arrêtent de se battre… » La guerre se présente donc ici comme une solution politique pour ramener la paix après l’anéantissement de la puissance de l’ennemi pour s’’assurer une victoire suite à la capitulation sans condition de celui-ci. Mais doit-on continuer à recourir à la guerre pour ramener la paix lorsqu’on sait qu’à ce XXIe siècle, toutes les nations se dotent d’armes redoutables et se trouvent des alliées de taille qui leur permettent d’affronter l’ennemi avec beaucoup plus d’assurance ? Aujourd’hui, toutes les forces croient tellement en leurs capacités que la capitulation est la dernière chose à laquelle elles songent. Outre les nombreux exemples de pays en guerre depuis des années sans qu’on puisse en prédire l’issue, l’exemple de la guerre contre le terrorisme est également une parfaite illustration de ce que la guerre a cessé d’être la solution pour ramener la paix. L’armée américaine, qui a cherché en vain d’instaurer de force la démocratie en Irak en l’envahissant, a dû quitter après 20 ans de lutte contre les mouvements d’insurrection et la polarisation politique qui a perduré dans le temps. Cette guerre a déclenché une violente instabilité dans le Moyen-Orient qui n’est pas encore maîtrisée jusqu’à aujourd’hui.

Il n’y a pas plus con que celui qui poursuit deux lièvres à la fois

Il faut reconnaître que les pays africains dans leur grande majorité ont de sérieuses difficultés à trouver et asseoir un modèle de démocratie qui répond à leurs réalités. Plusieurs d’entre eux balbutient depuis les indépendances et sont sujets à des conflits permanents. Surtout ceux disposant de ressources du sous-sol en abondance et qui sont objet de convoitise de grandes puissances. C’est le cas du Niger et de certains autres pays qui n’ont vraisemblablement pas pu enchaîner plus de deux alternances démocratiques. Posons-nous la question de savoir l’âge de la constitution la plus vieille d’Afrique francophone ? Quel en est celui de la plus jeune ? Difficile de répondre à ces questions, car les constitutions de nombreux pays africains sont modifiées au jour le jour, au gré du vent et selon les intérêts des dirigeants du moment. Les quelques pays qui résistent encore sont mis chaque jour à rude épreuve. Certains citeront le Bénin et le Sénégal en exemple. Mais ces deux pays gardent-ils encore cette crédibilité au regard des derniers développements ? Ou pendant combien de temps résisteront-ils encore ? Tirez-en la conclusion. Il faut comprendre aujourd’hui que les instabilités répétées avec la phobie de perdre à tout moment le pouvoir ne peuvent permettre de se focaliser sur les objectifs de développement. Les gouvernants au lieu de travailler pour le développement, travaillent d’abord pour conserver le pouvoir. On préfère réfléchir à comment écarter un potentiel concurrent, qu’il soit civil ou militaire qui pourrait nous arracher le pouvoir, à réfléchir aux actions de développement. Il n’y a pas plus con que celui qui poursuit deux lièvres à la fois. Il perdra à coup sûr les deux. Ce fonctionnement des États ne peut faciliter l’atteinte des objectifs de développement.

 

L’Afrique doit changer de paradigme

 

La solution pour mettre certains pays africains sur les rails ne se trouve donc plus aujourd’hui dans les coups d’État, les rébellions et les guerres. Mieux, il s’agit de solutions qui affaiblissent davantage les États puisqu’il faut reconstruire tout ce qui est détruit avant de penser au développement si par extraordinaire la guerre prenait un jour fin. Pendant ce temps, les autres prennent de sérieuses avances. C’est de la stabilité que nos États ont besoin pour se développer et la guerre ne la leur apportera pas. Les vraies solutions sont laissées en rade pour les subsidiaires comme ce tueur de serpent qui laisse le reptile fuir pour taper inutilement dans les herbes. Pourvu qu’il ne soit victime lui-même de morsure du même serpent. Il est temps que l’Afrique change de paradigme. Que ses filles et fils se parlent pour trouver des solutions aux problèmes au lieu d’avoir recours à la force des armes dont la finalité n’aboutit pas toujours à la paix escomptée.

La guerre, comme le dit l’adage, on sait quand elle commence mais jamais quand elle finit… Mieux, on ne peut prédire de son issue ou évaluer préalablement les dégâts. Mieux encore, les plaies sont inexorablement immenses, béantes et difficiles à panser, les séquelles resteront à jamais, les hommes garderont les leurs à vie puis l’emporteront un jour dans leurs tombes. Le pays, quant à lui, fera des siennes une histoire pour la postérité. Que l’âme de tous les disparus de guerre sauve le Niger.

 

Babylas Amour ATINKPAHOUN

Journaliste-Communicateur et Motivateur

Spécialiste en communication organisationnelle et humanitaire

Source : Matin Libre

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