Économie urbaine: Une étude sur l’efficacité et l’équité des politiques de gestion des inondations

On estime que 23 % de la population mondiale (1,81 milliard de personnes) est directement exposée à des risques importants en cas d’inondation centennale.  Cette exposition et les ravages qui en découlent risquent en outre de s’intensifier, en raison de la fréquence accrue des inondations, de l’extension des zones inondables (a) et de l’essor rapide des populations et des actifs économiques (a) qui s’y trouvent. Par ailleurs, les populations urbaines n’encourent pas toutes le même degré de risque : les ménages à faible revenu sont plus susceptibles de vivre dans des zones à haut risque (a), de pâtir de dégâts plus lourds (a) et d’être moins en mesure de s’en relever.

 

Une nouvelle étude (a), qui a reçu l’appui de la Facilité mondiale pour la prévention des risques de catastrophes et le relèvement (GFDRR) (a), se penche sur l’efficacité et les effets distributifs de trois politiques de gestion préventive des inondations en milieu urbain pour deux tranches de revenus. Elle examine diverses configurations urbaines, selon que les ménages pauvres ou riches sont installés au centre ou à la périphérie et que les zones sujettes aux inondations sont situées au centre, localisées à la périphérie ou uniformément réparties.

Efficacité des politiques de gestion des inondations

Les trois mesures qui font l’objet de l’étude sont les suivantes : un régime d’assurance fondé sur les risques (les propriétaires supportent le coût des primes d’assurance, celui-ci répercutant totalement les risques de dommages pesant sur les bâtiments) ; un régime de zonage foncier (les constructions sont interdites dans les zones inondables) ; et un régime d’assurance subventionné (tous les ménages contribuent par un impôt sur le revenu à un fonds d’indemnisation des dégâts causés aux bâtiments en cas d’inondation).

Dans la droite lignée de travaux antérieurs (a), nous constatons que la politique la plus adaptée à un bien-être social optimal demeure l’assurance fondée sur les risques . Ces primes de risque, qui imputent le coût prévisible d’une catastrophe, décourageront les propriétaires à construire dans une zone inondable. Cette politique intègre parfaitement les risques liés aux dommages.

En pratique, cependant, l’instauration d’une assurance basée sur le risque demeure souvent irréalisable pour des raisons techniques, sociales ou politiques. Et même si elle l’était, l’arrivée brutale d’une telle mesure influerait probablement peu sur les risques d’inondation et pèserait fortement sur le bien-être des populations. Une assurance subventionnée pour les rares cas d’inondations massives, voire un zonage dans le cas d’inondations fréquentes et localisées, constituent au contraire des interventions presque optimales. En effet, notre travail fait ressortir que cet optimum de second rang, plus réalisable, ne doit pas nécessairement s’effectuer au détriment d’une efficacité globale. Le zonage prévient les dégâts structurels, mais participe à la pénurie du foncier et contribue à la hausse des loyers. L’assurance subventionnée, qui fonctionne sous la forme d’un fonds d’indemnisation auquel chaque ménage abonde, maintient un parc immobilier important (et donc des loyers modérés), mais reste synonyme de plus grands dommages causés aux structures dans les zones inondables  (figure 1).

Figure 1 : Pertes de bien-être social dues aux inondations lorsque les ménages pauvres vivent au centre de la ville et les riches à la périphérie, en fonction de trois zones d’inondation (centrale, périphérique et répartition uniforme) et deux types d’inondation (fréquente et localisée ou rare et massive).

Des choix qui n’ont pas d’enjeu en termes d’économie politique, mais qui posent des problèmes de redistribution et d’inégalités

La bonne nouvelle, c’est que la hiérarchie des options de gestion des inondations coïncide entre les deux catégories de revenu, indépendamment de la configuration urbaine (que les ménages aisés résident au centre ou à la périphérie de la ville) et de la zone d’inondation. Ce constat est important : il montre que le type de mesure choisi ne devrait pas soulever d’enjeux d’économie politique qui conduiraient à privilégier une solution sous-optimale en raison de préférences divergentes selon les catégories de ménages.

Les politiques de lutte contre les inondations introduisent à des degrés divers des informations sur les risques d’inondation et peuvent induire des ajustements sur les marchés foncier et immobilier, avec une redistribution des coûts entre les différentes tranches de revenus, quelles que soient les victimes directes des inondations. À ce titre, par rapport à un scénario de laissez-faire (sans mesure d’anticipation), ces mesures peuvent être progressives, puisqu’elles contribuent à réduire les inégalités dans le cas où les ménages à faible revenu sont les plus durement touchés, ou régressives, dans le cas où les dégâts sont les plus élevés chez les plus aisés.

Même si la hiérarchie des politiques de gestion des inondations coïncide pour l’une ou l’autre des catégories de revenu, elle peut toutefois donner lieu à un creusement des inégalités. Bien que les deux catégories de revenus préfèrent l’assurance fondée sur le risque, cette option accentue les inégalités dans une configuration où les ménages défavorisés résident à proximité des sources d’emploi et les inondations sont également localisées au centre des zones urbaines. Dans l’absolu, elle constitue la mesure la plus profitable pour les ménages à faible revenu, mais ces derniers resteront perdants par rapport aux plus aisés. Dans cette configuration, seule l’assurance subventionnée maintiendrait les inégalités entre les catégories de revenus à un niveau constant (figure 2).

Figure 2 : Incidence des trois politiques sur les inégalités et le bien-être lorsque les inondations se produisent au centre-ville, où résident les plus pauvres, alors que les riches habitent en périphérie.

Source : Calculs des auteurs.

Note : Pour chacune des trois politiques, les points correspondent à un type d’inondation précis, caractérisé par sa récurrence (fréquence) et son étendue (part du territoire exposée aux inondations).

Ces résultats suggèrent des conflits éventuels entre équité et efficacité qui, sans être systématiques, se font plus évidents à mesure que les dégâts dus aux inondations s’aggravent, que ce soit en raison de leur fréquence accrue, de l’accroissement des zones inondables ou de l’intensification des évènements, trois éventualités susceptibles d’advenir dans plusieurs régions du monde en raison du changement climatique. Si les politiques de gestion des inondations semblent n’affecter qu’à la marge les inégalités au regard des conditions climatiques actuelles, leurs répercussions pourraient être plus marquées à l’avenir. Compte tenu du poids durable et contraignant des choix effectués en matière d’équipements et de systèmes urbains, et en supposant que les inégalités peuvent devenir insoutenables d’un point de vue moral ou politique, il est essentiel de prendre en considération ces résultats lors de l’élaboration des politiques de lutte contre les inondations afin d’éviter de plus grandes inégalités à l’avenir.

 

Source : Banque Mondiale

Source : Matin Libre

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