Gabon: pour qui roule le Général Olingui Nguema ?

La situation qui prévaut actuellement au Gabon reste pour le moins confuse. En dépit des éléments factuels qui confirment la prise du pouvoir par l’armée Gabonaise, il faut tout de même rester prudent dans l’analyse de la dynamique des évènements en cours dans ce pays.

Même s’il est vrai que cette irruption des militaires sur la scène politique gabonaise met de facto, un terme au régime du Président Ali Bongo, il n’est pas exclu que le pouvoir soit toujours contrôlé par la famille Bongo et que cette situation évolue vers la confiscation de la volonté du peuple gabonais par le même clan au pouvoir depuis 1960.

Un tournant décisif pour Gabon et la famille Bongo

Ce coup d’état apparaît davantage comme le point culminant de la lutte de clan et des rivalités de pouvoir auxquelles se livrent les différentes factions de la famille Bongo.

Depuis la disparition de Omar Bongo, la vie politique gabonaise est rythmée par les luttes et rivalités auxquelles se livrent les héritiers biologiques et politiques de Omar Bongo. La recomposition du paysage politique gabonais provoquée par l’organisation de la continuité de l’État et de la succession politique de Omar Bongo, suite à la vacances du pouvoir consécutive à son décès en 2009, est structurée par 2 facteurs essentiels.

1- d’une part, les rivalités de pouvoir entre les compagnons de Omar Bongo face à ses héritiers réunis autour de son fils Ali Bongo devenu son successeur d’un côté et les partisans de André MBA Obame, rival et concurrent de Ali Bongo de l’autre côté.
2- d’autre part, les guerres de positionnement et la lutte des clans au sein de la famille Bongo qui opposent 3 factions dont chacune, aspire au leadership dans la conduite et la gestion de l’héritage politique de leur père. Ces 3 factions sont: celle de Ali Bongo qui a hérité du pouvoir depuis la mort du vieux, celle de Pascaline Bongo qui soutient jean Ping et celle de Omar Denis Junior Bongo ( petit fils de Denis Sassou Nguesso) qui aspire à succéder à Ali Bongo.

La force et le dynamisme sur le terrain et dans l’opinion publique des opposants transitionnels au camp Bongo sont rythmés par l’intensité des rivalités de pouvoir entre les différents clans au sein du système Bongo. Les événements en cours au Gabon marquent un tournant décisif dans la trajectoire politique de ce pays d’Afrique centrale riches en ressources du sol et du sous-sol et aussi terrain de jeu d’affrontements géopolitiques entre certaines puissances internationales.

Un général au service des Bongo ou du Gabon?

Le Général Oligui Nguema que les événements en cours semblent imposer comme l’homme fort du pays est un pur produit du système Bongo dont il est un fidel et loyal serviteur depuis plusieurs décennies. Fils d’un Officier Général gabonais, Brice Clothaire Oligui Nguema choisit lui aussi le métier des armes et intègre très tôt la Garde Républicaine du Gabon, après sa formation militaire au Gabon et au Maroc. Il fait l’essentiel de sa carrière au sein de cette unité d’élite des forces armées gabonaises et devient même l’aide de camp d’Omar Bongo jusqu’au décès de ce dernier en 2009.

À l’arrivée d’Ali Bongo au pouvoir, Brice Clothaire Oligui Nguema est détaché de l’armée pour la diplomatie gabonaise pendant une dizaine d’années. Il a été attaché militaire à l’ambassade du Gabon au Maroc puis au Sénégal. Il est rappelé au pays en 2019, un an après l’Accident Vasculaire Cérébral (AVC) d’Ali Bongo survenu à Ryad en Arabie Saoudite en octobre 2018, pour prendre tête du service de renseignement de la Garde Républicaine : la Direction Générale des Services Spéciaux (DGSS) en remplacement du Colonel Frédéric Bongo, frère du Président Ali Bongo. Il deviendra 6 mois plus tard le patron de la Garde Républicaine.

Ce retour en grâce du Général Oligui Nguema auprès du clan Ali Bongo serait commandé par l’accentuation des divisions au sein de la famille Bongo dont le sécurocrate en chef, le colonel Frédéric Bongo alors chargé de la surveillance du fauteuil de son frère, Ali Bongo, fragilisé par la maladie, serait passé du côté de son autre frère Omar Denis Junior Bongo désormais impatient de prendre la succession de Ali Bongo. Alors que le clan Ali préparait le fils de ce dernier, Noureddine Bongo pour succéder à son père. C’est les résistances que connait ce processus de succession dynastique qui ont contraint Ali Bongo à se porter à nouveau candidat malgré son état de santé fragile.

Un coup pour une succession dynastique ou démocratique ?

Depuis son AVC en 2018, le débat sur la succession de Ali Bongo est ouvert au sein du système Bongo et mettait en affrontement 2 clans. D’un côté les partisans de la succession de Ali Bongo par son fils Noureddine et de l’autre les partisans de la succession de Ali Bongo par son frère Omar Denis Junior Bongo soutenu par son grand père Denis Sassou Nguesso (Président du Congo). Au regard des premiers éléments qui ressortent des évènements en cours au Gabon, il apparaît visiblement que le débat tourne en défaveur des partisans de la succession de Ali par son fils Noureddine. Mais ces événements sont loin de marquer une adhésion des militaires aux aspirations profondes d’une large partie du peuple gabonais qui rêve de tourner la page des Bongo et du Parti Démocratique Gabonais au pouvoir depuis plus de 60ans.

Tout porte à croire que cette irruption des militaires sur la scène politique gabonaise vise plutôt à enrayer une dynamique de remise en cause populaire du régime Bongo qui se dessinait à travers les manifestations de dénonciation des velléités de tripatouillage des résultats des dernières élections générales, qui s’observent un peu partout dans le pays et dans la diaspora gabonaise. Il serait donc imprudent à l’étape actuelle de l’évolution de la situation sur le terrain, d’avancer que le Général Oligui Nguema roule pour le peuple gabonais et que cette remise en cause par les éléments de la Garde Républicaine gabonaise du pouvoir usé de Ali Bongo est dans l’intérêt supérieur du peuple Gabonais.

Arnold FAGBOHOUN est Conseiller Politique Senior et Analyste en stratégie internationale. Diplômé de l’école supérieure de l’Institut des Relations internationales et stratégiques en France (IRIS Sup’ – FRANCE), il accompagne depuis plus de 10ans des personnalités publiques, ONG, entreprises et institutions internationales dans la compréhension des enjeux publics contemporains et dans la conduite des affaires publiques en Afrique francophone.

Source : Matin Libre

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