Le ‘’Takatodou’’ ou ‘’Takakôdou » en milieu Baatonu : Un rituel autour de l’igname en voie de disparition

Le ‘‘Takatodou’’ ou ’’Takakôdou’’ une pratique agricole ancestrale chez les Baatombu ( Bariba au sens péjoratif) au nord Bénin est en voie de disparition si rien n’est fait par les détenteurs de la tradition en vue de transmettre ce savoir endogène à la génération montante.

En effet, selon Idrissou Sinabarogui, un sage du village de Tobré dans la commune de Ouassa-Péhunco, le ‘’Takatodu’’ est un rituel que les Baatombu font lors du démarrage des premières buttes d’ignames. Tandis que le ‘’Takakôdou’’, se fait à la première récolte d’ignames. Ce sont les ignames récoltées que les femmes pilent de la maison pour amener au champ. Mais avant toute dégustation de l’igname pilée au champ par les hommes et femmes du village, il faut d’abord l’offrir aux ancêtres afin qu’ils demandent à Dieu de donner encore plus de rendements aux paysans, a-t-il expliqué.

Si M. Sinabarogui trouve que le ‘‘Takatodou’’ et le ’’Takakôdou’’ sont deux rituels différents, Idrissou Barassounon, griot originaire de  Ouassa-Kika, un village de la commune de Ouassa-Pehunco, pense le contraire car, ces deux  termes disent la même chose. Pour lui, c’est l’appellation qui diffère d’une localité à une autre.

 A chaque étape des activités champêtres, dit-il, les Baatombu organisent des rituels pour espérer une bonne moisson. Au nombre de rituels, figure en bonne place Le ‘‘Takatodou’’ ou ’’Takakôdou’’  qui signifie selon lui en langue baatonu le démarrage du buttage d’igname.

Avant le démarrage du buttage d’ignames, jadis en milieu baatonu, le paysan qui a déjà fini le labour à plat, sollicitait les hommes du village pour faire deux lignes de buttes d’ignames dans son champ, a martelé monsieur Barassounon.

La première ligne, fait-il savoir est appelée ‘’ Kpíndoua’’, c’est -à-dire ‘’Ligne mâle’’. Cette ligne est faite avec soins et les buttes sont généralement grosses et produisent de gros tubercules d’ignames, a-t-il laissé entendre.

Idrissou Barassounon ajoute que ce sont les ignames issues de cette première ligne que les Baatombu récoltaient pour faire la dot ou faire de cadeaux aux beaux-parents. Quant à la deuxième ligne, elle est appelée « Kpínian », qui signifie ‘’Ligne femelle’’. Les ignames récoltées de cette seconde ligne peuvent faire objet de consommation en famille, a-t-on dit.

 ‘’Takakôdou’’, une occasion de communion chez les agriculteurs baatombu

Pendant les préparatifs du buttage du nouveau champ d’igname, le propriétaire ou le chef de famille fait préparer aux femmes, l’igname pilée généralement accompagnée de la sauce (préparée avec souvent de poudre noire dont seuls les initiés maîtrisent les secrets) et de la viande ( composée de pattes assaisonnées de bœufs, de la viande de poulets ou viande de canards, poissons, fromage, etc.), a détaillé le griot. Dès que le repas est prêt, ce sont les femmes qui sont chargées de l’amener au champ. Après la finition des deux premières lignes de buttes, place à la dégustation. Ce partage du repas au champ renforce davantage les liens de solidarité au village.

Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait !

Le‘’Takatodou ou ‘’Takakôdou’’ constitue une école d’apprentissage, de partage d’expériences et d’entraide en milieu baatonu. C’est à cette occasion, les hommes les plus expérimentés en matière de buttage apprennent aux plus jeunes à faire des buttes d’ignames et ceci sous l’œil vigilant des sages présents pour la circonstance, a fait savoir le griot Barassounon de Ouassa-Kika. En plus de l’apprentissage et de partage d’expériences, ‘’le début du buttage », selon Monsieur Barassounon, est une école par excellence qui cultive l’esprit d’entraide et surtout celui du travail collectif dans un élan de solidarité légendaire.

A l’en croire, c’est du ‘’Takakôdu’’ qu’est né le ‘’Yétonãn’’, c’est -à-dire le buttage à tour de rôle au village.

 Que visait autrefois l’initiative de Takatodou ou Takakôdou chez les baatombu ?

Le Takakôdou ou Takakôdu avait comme objectifs, chez les peuples baatombu, d’encourager les jeunes au travail surtout le travail bien fait et par ricochet gagner la confiance de leurs parents et de toute la communauté, a martelé Barassounon. Il poursuit en affirmant qu’autrefois, le Baatonu (Bariba) qui possédait un champ d’ignames en qualité et en quantité était respecté dans sa communauté, car l’igname était l’aliment de base pour les baatombu. Le met le plus préféré de ce peuple depuis la nuit des temps est  ‘’Sôkourou »(igname pilée), a-t-il laissé entendre avant d’ajouter que c’est la raison pour laquelle, l’igname fait partie des premiers éléments constitutifs de la dot. Pour finaliser une dot en milieu baatonu, rappelle le détenteur de la tradition, il faut nécessairement douze (12) bons tubercules d’ignames récoltés sur la première ligne du champ (Kpíndoua). Reconnue en tant que telle, chaque jeune était obligé de maîtriser les techniques culturales autour de ce tubercule afin de gagner la confiance de ses parents et de sa communauté. Les chefs de familles faisaient également feu de tout bois pour avoir de bons champs d’ignames, a-t-on raconté.

 

 Qu’est-ce qui fait disparaître cette riche pratique chez les Baatombu ?

Le ‘’Takatodou’’ ou ‘’Takôdou’’, cette riche pratique agricole ancestrale malheureusement est en voie de disparition. Entre autres causes de sa disparition, Idrissou Barassounon a pointé du doigt, l’individualisme, l’égoïsme, le manque de peur ou le manque de respect des parents. Aux dires du griot, les jeunes ne sont plus à l’écoute de leurs parents. Il a aussi évoqué le matérialisme au détriment de la dignité ou de la notoriété jadis conservée par l’ancienne génération. « Un billet flambant neuf de 10.000 FCFA ou un téléphone portable offert à un beau parent ou à une belle-mère suffit pour certains jeunes aujourd’hui de détourner et de gagner la confiance de certaines filles», a-t-il déploré. C’est pourquoi, les mariages coutumiers disparaissent également, a souligné Barassounon avant de rappeler que dès qu’une jeune fille tombe enceinte avant le mariage coutumier, il n’y a plus de dot avec de l’igname chez les Baatombu.

Par ailleurs, parlant de la disparition du ‘’Takatodou’’ou’’ Takakôdu », le vieux Idrisssou Sinabarogui fait savoir que les champs d’ignames disparaissent de jour en jour au profit des autres cultures notamment les cultures de rente. Pour lui, les intrants chimiques agricoles utilisés dans les champs contribuent à l’extinction de plusieurs variétés d’ignames.

Somme toute, il va falloir que le peuple baatonu puisse renouer avec la pratique de ‘’Takakôdou ou Takatodou’’ en conciliant de façon intelligente la tradition et le modernisme pour le bonheur de toutes et de tous.

 

Albérique HOUNDJO Br/Borgou-Alibori

Source : Matin Libre

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