Polémique autour de la fameuse autorisation de la marche pacifique : Regards croisés des juristes Landry Adelakoun, Glory Hossou et Fréjus Attindoglo

La répression de la marche pacifique des confédérations syndicales interpelle. Alors que dans un communiqué, le préfet du département du Littoral, Alain Orounla exigeait une autorisation des responsables syndicaux avant toute marche, ces derniers n’ont pas manqué de brandir les preuves des formalités accomplies.

“Les Organisations initiatrices informent l’ensemble de l’opinion publique et les travailleurs que les formalités administratives ont été bel et bien accomplies auprès de la mairie de Cotonou, de la Préfecture du Littoral, de la police républicaine à travers la Direction départementale de la police républicaine du Littoral et le Commissariat central de la ville de Cotonou“ répliquent les secrétaires généraux des centrales et confédérations syndicales. S’agit-il d’une ruse de la part du préfet pour empêcher la marche comme le dénoncent les syndicalistes ? Que faut-il comprendre par cette situation ? Votre journal Matin Libre partage avec vous, les analystes des juristes, Landry Adelakoun, Glory Hossou et Fréjus Attindoglo. Lire plutôt !

Landry Adelakoun, Juriste : “ …je n’ai pas connaissance d’un dispositif qui permet de dire qu’il faut une autorisation“

  1. Landry Adelakoun, techniquement comment peut-on expliquer cette confusion entretenue autour de l’autorisation de la marche des centrales syndicales ? En effet, le Préfet confirme avoir reçu la correspondance des syndicales mais exige une autorisation alors que les confédérations estiment avoir rempli toutes les formalités. Que doit-on comprendre concrètement ?

Il faut déjà commencer par rappeler que quand on parle des questions de liberté et de manifestation, liberté de réunion, le droit, le standard international qui l’encadre parle d’un régime d’information, d’un régime de déclaration. C’est-à dire que les organisateurs sont appelés à informer l’autorité compétente de ce qu’ils veulent organiser une manifestation à telle date sur tel itinéraire. C’est d’ailleurs ce que disent les lignes directrices de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples sur la question….C’est ce qui a été également toujours fait dans notre pays parce que le régime, il est déclaratif, il est un régime d’information, il n’est pas un régime d’autorisation. Donc, nous avons constaté que dans la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle, à plusieurs occasions, la Cour Constitutionnelle est revenue dessus pour dire qu’en réalité au Bénin, quand on parle de la liberté de manifestation, de réunion, il s’agit d’un régime d’information. Vous avez juste à informer l’autorité….Même pas trop longtemps, en 2018, nous avons vu de ces jurisprudences où le juge constitutionnel a même été loin en disant que l’autorité administrative ne peut agir que pour rendre effective les libertés, qu’elle ne saurait agir pour la restreindre, pour l’interdire. Donc, le principe a été posé…Mais lorsque nous voyageons un peu dans la jurisprudence, vous allez voir qu’il y a des moments où le juge constitutionnel lui-même a glissé pour implicitement aller vers une sorte de régime d’autorisation. Et vous allez comprendre que dès lors qu’on permet à l’autorité administrative de pouvoir interdire une manifestation…nous sommes en train de glisser implicitement du régime d’information vers le régime d’autorisation. Avec l’adoption du Code pénal en 2018, cela a été davantage remarqué dans ce qu’on a qualifié par exemple du délit d’attroupement…Il est clair que dans l’esprit du droit béninois, on est en train de glisser vers le régime d’autorisation. Les standards internationaux, les jurisprudences de la Cour Constitutionnelle nous enseigne que nous sommes, quand on parle de ces manifestations, dans un régime d’information. Il n’y a pas à chercher une autorisation quelconque de la part de l’autorité administrative….

Alors, c’est évident que le communiqué du Préfet prête à confusion à écouter votre analyse. Et si nous considérons que l’on veut appliquer ce régime d’autorisation, qu’est-ce qu’il fallait que les confédérations syndicales fassent pour être en règle vis-à-vis des dispositions légales en vigueur ?

Si entre temps, on va parler de régime d’autorisation, cela devrait dire qu’il y a des normes précises dans la République qui nous indiquent qu’au Bénin désormais, avant de faire une manifestation soit vous devez avoir l’autorisation de l’autorité habilité et l’autorité est précisée dans les textes. A l’heure où je parle, je n’ai pas connaissance d’un dispositif qui permet de dire qu’il faut une autorisation. Donc, c’est dans cette norme, qu’elle soit législative ou règlementaire, qu’on verra dans un décret pris par le préfet peut-être, on pourrait dire voilà, il faut saisir telle autorité par telle voie dans un tel délai. Techniquement, si ça devrait être un régime d’autorisation, une fois que l’autorité est saisie, déjà même par rapport à la demande. C’est une demande d’autorisation, ce ne serait plus une information, une déclaration. Donc, l’objet dans la correspondance va changer, ce sera une demande d’autorisation. Et là, les organisateurs devront attendre le retour de l’autorité pour voir si l’autorité autorise leur manifestation ou pas. C’est là, la nuance…Or quand on est dans un régime d’information, vous n’attendez pas le retour de l’autorité…

En définitive, peut-on dire que le Bénin a basculé vers ce régime d’autorisation en ce qui concerne les manifestations comme celle-ci ?

Il serait aujourd’hui difficile de s’exprimer ainsi parce que là, il y a une difficulté. Quand vous prenez les engagements, le Bénin, notre pays a pris des engagements librement sur la scène régionale internationale en ce qui concerne la protection et la garantie des libertés fondamentales. Donc, ces instruments juridiques sont au-dessus des lois que nous avons à l’interne. Et ça, c’est l’article 147 de notre Constitution qui le dit, qui dit que les traités régulièrement ratifiés ont valeur supérieure aux lois internes sous réserve de l’obligation de réciprocité. Donc, même si le Bénin prenait une loi, elle serait contraire aux engagements pris. L’autre chose est qu’aujourd’hui, clairement, on n’a pas une loi qui dit que le régime est un régime d’autorisation. Mais quand on fait une interprétation des dispositions du Code pénal, on peut vouloir que le régime que le Bénin a instauré est un régime d’autorisation mais quand on va se retourner vers la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle, il serait également difficile de dire que c’est un régime d’autorisation. Donc ce que je peux dire techniquement aujourd’hui, c’est qu’il n’y a que le juge constitutionnel qui pourra nous aider à mieux comprendre un peu ce que nous pouvons retenir clairement de ce cafouillage qu’il y a entre les normes par rapport au régime juridique de la liberté de manifestation.

Fréjus Attindoglo, Juriste : “…nous n’avons pas besoin d’une autorisation pour manifester au Bénin“

Il est difficile de comprendre ce qui s’est passé ce samedi lors de la marche contre la cherté de la vie organisée par les syndicats. Le régime juridique de la liberté de manifestation au Bénin est un régime déclaratoire, c’est le principe. Mais dans la pratique nous nous retrouvons dans un régime d’autorisation ce qui ne devrait pas être le cas. Mieux avec le Code pénal de 2018 on voit clairement l’intention de pénaliser les manifestations publiques avec dispositions portant sur l’attroupement non armée. Le législateur a choisi de ne pas donner une définition à la notion de l’attroupement non armé alors qu’elle avait compris l’importance de définir la notion de l’attroupement armé. Pourtant les deux notions se logent à la même disposition. Jusqu’à preuve du contraire nous n’avons pas besoin d’une autorisation pour manifester au Bénin, nous avons plutôt besoin d’informer l’autorité communale ou préfectorale de notre intention de manifester avec une déclaration préalable. Cette déclaration n’est pas à confondre avec une demande d’autorisation. L’autorité qui reçoit la déclaration doit immédiatement délivrer un récépissé et mettre tout en œuvre afin d’assurer la sécurité des manifestants, et éviter tout débordement. Donc le rôle de la police dans une manifestation est de protéger les manifestants. Elle doit partir du principe que la manifestation est pacifique. Elle ne doit pas interdire, restreindre, bloquer, disperser ou perturber une manifestation. Mais il peut arriver qu’une manifestation soit interdite pour des raisons d’ordre public, dans ce cas, l’autorité faire une notification aux responsables par écrit et dans un délai raisonnable. Cette notification doit contenir les raisons de cette interdiction de façon claire. Après ce qui s’est passé ce samedi, peut-être vu comme le prolongement du rétrécissement des libertés individuelles depuis plusieurs années. Dans un État de droit qui se dit démocratique, on ne peut pas interdire les manifestations pacifiques. Nous assistons souvent à ces genres d’interdictions abusives lorsque les citoyens s’expriment sur les droits civil et politique, mais si on refuse encore aux citoyens pour réclamer leurs droits sociaux économiques, ça devient très dangereux.

Propos recueillis par Aziz BADAROU

Glory Hossou, juriste : “ le droit international a été suffisamment clair“

Le droit réunion pacifique un droit de l’Homme fondamental ou un droit humain fondamental qui permet aux individus de s’exprimer collectivement et de contribuer également à modeler la société dans laquelle ils vivent…Donc qu’est-ce que le droit recommande lors de manifestations ou lors d’une manifestation pacifique qui est projetée. Parce qu’il faut faire la démarcation, il y a des réunions pacifiques qui sont projetées, il y a des réunions pacifiques qui ne sont pas projetées, c’est-à-dire que des réunions qui sont instantanées et donc qui ne peuvent pas obéir à un formalisme juridique d’information de l’autorité. Et là c’est ce que je voulais vous dire, il s’agit de l’information de l’autorité.

Le droit de réunion pacifique est soumis à un régime d’information, un régime de déclaration.   Donc on informe l’autorité qu’on veut faire une manifestation dans deux ou trois jours, dans une semaine et voilà l’itinéraire auquel la manifestation va obéir et voilà l’identité des organisateurs de la manifestation…Et peut-être le nombre de personnes minimum attendues à cette manifestation. Et donc quand on dit régime de déclaration et d’information, ça c’est pour les manifestations ou les réunions pacifiques qui sont projetées…

Qu’est-ce l’autorité peut faire quand elle est informée d’une manifestation ?

L’autorité normalement ne doit pas interdire la manifestation. Elle peut interdire, mais en voulant interdire, doit pouvoir motiver son interdiction en disant cette manifestation n’est pas possible aujourd’hui, en même temps proposer des alternatives. C’est-à-dire, quand on interdit, ça doit être pour des motifs objectifs, et sérieux et non fallacieux… Malheureusement, dans le contexte béninois, aujourd’hui le code pénal que nous avons tend à faire croire que le droit de manifester est soumis à un régime d’autorisation, notamment quand vous lisez les articles 238 et suivants jusqu’a 241. C’est ça qui fait l’objet aujourd’hui de notre plaidoyer. Parce que, c’est un plaidoyer…pour réviser les dispositions du code pénal qui entravent la jouissance du droit de réunion pacifique au Bénin. Notamment les articles 237, 38, 39, 241 du code pénal. Ici c’est l’article 241 qui pose problème. Parce qu’on va voir…, aujourd’hui l’on a vu le communiqué du préfet qui demande aux gens d’observer les prescriptions légales sans pour autant citer quelles sont ces prescriptions légales que les gens doivent respecter. Alors que le droit international a été suffisamment clair.

Et quel doit être le comportement de la police lors des manifestations ?

 La police en principe lors des manifestations doit jouer un rôle d’encadrement des manifestants pacifiques. Parce que dans une manifestation, on peut avoir plusieurs sortes de manifestants. Il y a des manifestants qui viennent juste répondre à l’appel, et manifester leur ras-le-bol contre un système, contre la vie chère, contre des maux de la société, mais en même temps il y a d’autre types de manifestants qui viennent peut-être pour semer le trouble, pour vandaliser… Il y a ce troisième type de manifestant qui n’a rien à voir avec les manifestations mais qui est juste en train de passer et qui est pris au piège par la foule qui est en déplacement…S’il y a des fauteurs de troubles dans une manifestation, il revient à la police, de rechercher individuellement les auteurs des actes de vandalisme et de trouble dans une manifestation et les arrêter et de les présenter à la justice et que ces personnes soient jugées dans le cadre d’un procès équitable. Il n’a jamais été dit dans le droit international de prendre pour responsables ou d’arrêter les organisateurs d’une manifestation qui dégénère…Il n’est plus question aujourd’hui en 2024, que nous assistions à des arrestations systématiques de manifestants, à cause des manifestations qui du point de vue des autorités ne seraient pas autorisées.

Transcription : Thomas Azanmasso

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Source : Matin Libre

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