Suppression de la subvention des produits pétroliers au Nigéria : les belles intensions de Tinubu


A peine a-t-il été investi dans sa nouvelle mission qu’il a posé un acte fort, à la limite révolutionnaire. Sans crier gare, le nouveau président de la République fédérale du Nigéria annonce les couleurs de son mandat, qui visiblement se veut être celui des réformes et des grandes œuvres. Dès le lendemain de son investiture, il prend une mesure à polémique. Contrairement à ses prédécesseurs, pour des contraintes budgétaires, il a pris la décision de ne plus faire subventionner l’achat des produits pétroliers par le Nigéria, mettant ainsi fin à un sujet tabou à Aso Rock depuis les années 1970. Pourra-t-il rester droit dans ses bottes sans fléchir ? Telle est la principale interrogation. Pour le moment, la décision est prise et il faut croire qu’elle sera appliquée.

En effet, malgré ses nombreux gisements, le Nigéria n’est pas en mesure de raffiner sa production pétrolière pour la consommation locale. Raison pour laquelle l’option de la subvention des produits pétroliers pour les rendre accessibles au plus grand nombre a été faite depuis des décennies. Un choix social qui entraîne de lourdes conséquences sur les finances publiques. En 2022, l’Etat fédéral nigérian a englouti 9,3 milliards de dollars dans cette subvention. Une somme colossale qui aurait permis, dans un contexte de rationalisation des ressources, d’ériger dans le pays de nombreuses infrastructures comme des routes, des écoles, des centres de santé… Tinubu qui n’a pas voulu continuer sur cette lancée a jugé utile d’arrêter la saignée. D’ailleurs, il l’a martelé au cours de la campagne électorale. Du coup, s’il maintient sa posture, cette décision va entraîner une hausse vertigineuse du prix de l’essence qui pourrait atteindre 200% et relancer ainsi l’inflation.

Une décision risquée

S’il doit faire face à une fronde populaire persistante, il a sans doute les recettes qui lui permettront d’amortir le choc surtout au sein des couches les plus démunies qui pourraient voir leur mobilité réduite et leurs gains s’amenuiser. La récente inauguration de la raffinerie de l’opérateur économique Aliko Dangote dans la banlieue de Lagos n’est pas étrangère à cette décision. Quand son fonctionnement sera optimal, le Nigéria sera en mesure de transformer sur place la production locale et réduire drastiquement la quantité importée. Du coup, le coût de cession des produits pétroliers sera revu à la baisse. Mais en attendant, il faudra gérer l’impatience et la colère des populations qui ne resteront pas passives tant qu’il leur faudra débourser beaucoup plus pour faire fonctionner leurs véhicules, engins et autres unités de production dont les machines tournent à l’essence.

Elu avec seulement 37% des voix électeurs, Tinubu est conscient qu’il ne bénéficie pas tant que ça du soutien populaire et que sa barque pourrait chavirer s’il prend des options hasardeuses. Ayant réalisé par le passé des prouesses à la tête de l’Etat de Lagos, ses compatriotes l’attendent au tournant et espèrent de lui des résultats nettement positifs. Dans ce charivari qui s’annonce du côté du géant de l’Est, que fait le Bénin pour minimiser au maximum ce grand coup qui risque de s’abattre sur son économie ?

Quid du Bénin ?

Des centaines de milliers de ménages béninois se rabattent sur le Nigéria depuis des décennies pour s’approvisionner en produits pétroliers. L’essence de contrebande appelée « kpayo » fait le bonheur d’innombrables béninois qui ne peuvent plus s’en passer en raison de son coût abordable. Cette habitude sera mise à rude épreuve si Tinubu maintient le cap sans faiblir. Dans l’hypothèse la plus plausible où le consommateur local n’aura d’autre choix que de s’approvisionner à la pompe, comment va-t-il avaler cette pilule amère ? A tout seigneur, tout honneur. Sur ce coup, il faut croire que le régime actuel a anticipé en créant les conditions pour une multiplication des stations d’essence aux angles de rue et aux abords des voies surtout en milieu urbain. La ruée vers les stations sera facile à gérer pour les pompistes qui ne se sentiront pas submergés par la forte demande. Mais, le gouvernement continuera-t-il de subventionner les prix de cession et de garantir la disponibilité du produit face à la hausse de la demande ? Telle est la grosse interrogation. L’autre préoccupation, non moins pertinente, est le sort qui sera celui des milliers de ménages qui vivent de l’essence de contrebande. Quelle alternative crédible et réaliste leur sera proposée quand leur source d’approvisionnement va tarir ? Faudra-t-on craindre un regain d’insécurité ?

Dans tous les cas, ce ne serait pas la première fois que le Bénin aura à subir les revers d’une décision prise à Aso Rock. Le mémoradum de Badagry en 1998 et la récente fermeture des frontières nigérianes en 2019-2020 sont des exemples parfaits des contre-coups ressentis par l’économie béninoise suite aux décisions de l’exécutif nigérian. Tinubu proche du Bénin à bien d’égards, son ethnie et son exil salutaire à Cotonou en 1993 d’abord sous Ibrahim Babaginda puis Sanni Abacha peuvent peser dans la balance, même s’il est appelé à se concentrer essentiellement sur les intérêts de son pays. Ce qui doit être est que les deux pays adoucissent leurs relations et en profitent mutuellement. En inaugurant son mandat avec une décision aussi risquée, Tinubu annonce de grands changements. Mais aura-t-il la carapace assez dure tenir bon ou va-t-il faire volteface comme un certain Goodluck Jonathan 2012 ?

Source : Fraternité

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