Trafic de faux médicaments au Bénin: Plus de 116 milliards Fcfa de manque à gagner…

Outre les conséquences désastreuses sur la santé des populations, le trafic et le commerce des faux médicaments entraînent des conséquences financières pour l’industrie pharmaceutique, les officines de pharmacie et les caisses de l’Etat béninois. Plus de 116  milliards de Fcfa de manque à gagner ont été enregistrées ces sept (07) dernières années pour le Bénin.

 

116 382 500 000 Fcfa soit environ 194 millions de dollars USD, telle est l’estimation approximative de manque à gagner lié au trafic de faux médicaments au Bénin de 2017 à 2023. En effet, l’ampleur des faux médicaments en Afrique en général et au Bénin en particulier est inquiétante.

Alors qu’en 2017, un médicament sur 10 en circulation dans le monde était faux, en Afrique, ce chiffre est de 7 médicaments sur 10. Au total, 42 % des cas détectés de produits pharmaceutiques inférieurs aux normes ou falsifiés ont été identifiés en Afrique, principalement dans la région subsaharienne, selon l’OMS. Ces faux médicaments couvrent tout le spectre médical. Ils incluent les antibiotiques, les antipaludéens, les hormones et les stéroïdes. Nombre de médicaments anticancéreux et antiviraux sont également contrefaits.

Si selon l’Office des Nations-Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), environ 60% des faux médicaments proviennent de la Chine, suivie de l’Inde, le marché béninois est inondé par le géant voisin, le Nigéria avec lequel le Bénin partage plus de 800 kilomètres de frontières. Toutefois, ces médicaments proviendraient également de la Côte d’Ivoire, un pays qui se révèle être l’un des plus touchés par le trafic des faux médicaments.

La Direction générale de la police républicaine, à travers la Direction de la police judiciaire (DPJ) du Bénin, est une structure qui est au cœur de la lutte contre les faux médicaments avec la Douane et l’Agence béninoise de régulation pharmaceutique. Pour la DPJ, la criminalité pharmaceutique ou le trafic de faux médicaments se révèle être un crime transnational organisé qui a pris de l’ampleur au Bénin ces dernières années. “Cette criminalité est en lien avec le développement des autres crimes transnationaux en l’occurrence le terrorisme en Afrique de l’Ouest“, confie la DPJ.

Ainsi, des produits comme le Tramadol et le Diazépam, en surdose contrairement aux normes, étaient illicitement débarqués au Port de Cotonou pour être acheminés vers d’autres pays du Sahel pour alimenter des réseaux terroristes, selon les informations recueillies auprès de la Direction de la police judiciaire.

Cependant, les conséquences résultant du trafic ou encore du commerce de faux médicaments ne sont pas que sanitaires. Les conséquences financières du commerce qui se révèle très rentable, sont énormes non seulement pour l’industrie pharmaceutique mais surtout pour les caisses de l’Etat béninois.

Des milliards de Fcfa de manque à gagner…

A combien s’évaluent les conséquences financières du trafic de faux médicaments au Bénin ? Les pertes financières enregistrées liées au commerce de faux médicaments sont évaluées à environ 116 milliards de Fcfa sur les sept (07) dernières années pour le Bénin.

Alors qu’aucune étude ne renseigne sur les pertes financières liées au trafic de faux médicaments au Bénin, le Directeur général de l’Agence béninoise de régulation pharmaceutique (Abrp), Dr Yossounon Chabi confie qu’il est difficile voire impossible d’estimer « ce que cela représente en termes de manque à gagner au Bénin de même que pour les officines de pharmacie ». Ceci, en raison d’un défaut de coordination dans la compilation des données liées aux prises ou saisies. Il se fait donc que la douane béninoise et la police républicaine conduisent des interventions sans nécessairement s’attendre à une implication de l’Abrp.

Ainsi, Dr Yossounon Chabi fait savoir que les données dont dispose l’Agence pourraient bien ne pas être représentatives des efforts consentis. L’Agence béninoise de régulation pharmaceutique a pour mission de coordonner la politique pharmaceutique nationale, de superviser le secteur pharmaceutique et de garantir le respect des lois et règlements dans son domaine de compétence.

Selon les données de l’Abrp, de 2018 à mars 2023, ce sont 316,276 tonnes de faux médicaments qui ont été saisies et 625 personnes interpellées. La plus grande prise a été faite en 2018, soit 196,251 tonnes tandis qu’en 2019, il a été saisi 3,658 tonnes contre 64,201 tonnes en 2020 et 41,6689 tonnes de faux médicaments en 2021. Alors que 2,972 tonnes de faux médicaments ont été saisies en 2022, une opération conjointe menée en mars 2023 a permis de mettre la main sur 7,526 tonnes de médicaments contrefaits. Notons qu’à fin 2017 précisément en octobre, il a été procédé à la destruction de 104 tonnes de faux médicaments.

Ainsi, de 2017 à mars 2023, plus de 420 tonnes soit 420,2769 tonnes de faux médicaments ont été saisis au Bénin, selon les données de l’Agence béninoise de régulation pharmaceutique. Un chiffre qui pourrait être en hausse si la compilation des données était coordonnée.

L’exploitation des données sur les saisies de faux médicaments par la DPJ a donné des informations pertinentes. De ces données, il ressort que grâce à plusieurs opérations dont l’opération PANGEA, 258,188 tonnes de faux médicaments ont été saisies entre 2017 et 2018 et 159 personnes déférées devant la justice. Alors qu’en 2019, 3,658 tonnes ont été saisies, 64,201 tonnes sont saisies en 2020 et 67,330 tonnes en 2021 ; 57,821 en 2022 et 14,332 tonnes en 2023.

Faut-il le préciser, la Direction de la police judiciaire, à travers la Brigade économique et financière (Bef), était chargée de coordonner la vaste opération PANGEA IX, déclenchée en 2017, année au cours de laquelle la lutte contre les faux médicaments s’est réellement intensifiée au Bénin.

En somme, la Police judiciaire renseigne donc que 465,530 tonnes de faux médicaments ont été saisies de 2017 à 2023.

Qu’en est-il alors des pertes financières sur la même période ? D’après l’Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments (Ircam), 1000 dollars investis dans le trafic de faux médicaments rapporteraient jusqu’à 500 fois plus aux organisations criminelles donc jusqu’à 500.000 dollars, soit dix fois plus que le trafic d’héroïne.

Le chiffre d’affaires généré par la contrefaçon est estimé au minimum à 10 ou 15 % du marché pharmaceutique mondial, soit 100 à 150 milliards de dollars, voire 200 milliards, affirme une étude du World Economic Forum.

Faisant référence aux données en Côte d’Ivoire, selon lesquelles la saisie de 400 tonnes de faux médicaments en octobre 2018 avait représenté « une perte financière de 100 milliards de francs CFA », soit 169 millions de dollars, les 465,530 tonnes saisies au Bénin devraient représenter environ 116 milliards de Fcfa (116 382 500 000Fcfa) soit plus de 194 millions de dollars de pertes financières pour le Bénin. Sur une période de sept années, le trafic de faux médicaments aura donc engendré des pertes financières de plus de 116 milliards de Fcfa. Enorme !

Toutefois, les données de l’Abrp permettent de quantifier les pertes financières à plus de 105 milliards de Fcfa soit plus de 175 millions de dollars.  Des fonds qui auraient pu servir à améliorer le plateau technique de plusieurs hôpitaux, ériger des infrastructures scolaires ou encore accélérer les efforts pour l’accès universel à l’eau potable au Bénin.

Pour Dr Yossounon Chabi, la lutte contre les faux médicaments au Bénin se veut permanente même si les données laissent croire à une pente positive, une dynamique assez intéressante. La Direction générale des Douanes et Droits indirects a été saisie par courrier, mais elle n’a toujours pas donné suite à nos préoccupations.

Les raisons sont multiples…

Plusieurs raisons expliquent la prolifération des faux médicaments au Bénin. L’une des principales raisons reste la disproportion notée entre le prix élevé des produits pharmaceutiques de qualité (en pharmacie) et le faible pouvoir d’achat des populations. Le recours aux faux médicaments encore appelés “médicaments de rue“ se justifie donc par son coût très abordable.

“Le fer qu’on nous vend à environ 2000Fcfa à la pharmacie coûte 500 Fcfa chez la dame qui vend ces médicaments que vous appelez faux.  Je viens de m’en procurer pour mon enfant“, confie un conducteur de taxi-moto, surpris en train de se procurer des faux médicaments chez une vendeuse de tisanes. Avec celle-ci, il suffit parfois d’indiquer le mal dont on souffre et des médicaments sont proposés sans aucune consultation préalable. Il y arrive que des ordonnances du médecin d’un centre hospitalier atterrissent plutôt chez les vendeurs de médicaments de rue qu’à la pharmacie.

En effet, le Bénin ne produit que 2 % de ses besoins en médicaments, selon une publication du journal Le Monde. Pharmaquick est la seule industrie pharmaceutique implantée au Bénin, spécialisée dans le générique. La quasi-totalité des médicaments alimentant le circuit formel est donc importée notamment par la Société béninoise d’approvisionnement des produits de santé (SOBAPS). Toute chose qui justifierait le coût élevé des médicaments du circuit formel. Saisi par correspondance, la Direction générale de la Sobaps a fait savoir que la société n’est pas habileté à parler d’un tel sujet.

“Alors que le continent ne produit quasiment pas de médicaments (environ 3% de la production mondiale), les pays africains enregistrent des prix à la vente excessivement élevés“ révèle une publication de l’Agence Ecofin. La faiblesse des couts d’accès se révèle être alors une des causes de la prolifération des faux médicaments.

L’autre raison favorisant le commerce de faux médicaments reste la porosité des frontières béninoises avec des pays voisins notamment le Nigéria avec lequel le Bénin partage de multiples frontières. De près de 126 millions de tonnes de faux médicaments saisis en septembre 2016 par l’Organisation mondiale des douanes dans seize ports africains, 35% de ces saisies étaient destinés au Nigéria.

Des témoignages recueillis dans une enquête financée par Ekolab, des agents de la douane béninoise pointent du doigt un défaut de matériels sophistiqués susceptibles de faciliter la détection desdits médicaments. “Nous contrôlons des passagers de façon sélective parce que, quand les véhicules sont alignés, nous ne pouvons pas contrôler tout le monde… Nous n’avons pas le matériel adéquat pour ces contrôles. Il nous faut des vedettes de grandes puissances“ témoigne un agent de douane dans ladite enquête réalisée par Wahabou Issifou.

Selon le Directeur général de l’Abrp, le pays étant accessible de partout, il n’est pas possible de crier victoire malgré les efforts consentis ces dernières années. Dr Yossounon Chabi, Directeur général de l’Agence béninoise de régulation pharmaceutique (ABRP), quant à lui, n’exclut pas la Côte d’Ivoire qui produirait également de faux médicaments : « S’il y a de faux médicaments en Côte d’ivoire, ils peuvent facilement arriver au Bénin du fait de la porosité de nos frontières“ a-t-il fait observer. Ces faux médicaments affectent le circuit formel de la distribution de produits pharmaceutiques même s’ils se retrouvent généralement dans le circuit informel.

Le défaut d’officines de pharmacie dans plusieurs localités constitue une autre explication de la présence de ces médicaments dans certaines localités. En plus de la faiblesse de la règlementation en vigueur, la corruption et les défaillances au niveau du contrôle douanier, le trafic et le commerce de faux médicaments est une réalité au Bénin.

Selon la Direction de la police judiciaire, trois facteurs étaient potentiellement la cause de l’ampleur du trafic notamment le manque de volonté politique, l’inexistence d’une cadre juridique adéquat et la corruption.

La lutte corsée, les faux médicaments résistent…

Au Bénin, le trafic et la commercialisation des faux médicaments sont proscrits et punis par la législation en vigueur. Des dispositions légales de la loi 2007-21 du 16 octobre 2007 portant protection du consommateur en République du Bénin à celles de la loi 2021-03 du 1er février 2021 portant organisation des activités pharmaceutiques sans oublier le Code pénal (Art 481) les dispositions pénales sont prévues pour réprimer les contrevenants.

L’article 89 de la 2021-03 du 1er février 2021 dispose que, « est coupable d’exercice illégal de la pharmacie, quiconque se livre à des activités relevant du monopole pharmaceutique, sans être un pharmacien légalement qualifié ». L’alinéa 3 du même article précise que quiconque se rend coupable d’exercice illégal de la pharmacie est puni d’une peine d’emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de 500.000 à 2 millions de francs CFA. Et en cas de récidive (alinéa 4), l’auteur des faits encourt un emprisonnement de 2 à 5 ans ».

La lutte contre les faux médicaments s’est intensifiée au Bénin en février 2017 avec l’opération PANGEA IX qui a permis de démanteler des réseaux et marchés de vente illicite de médicaments dont le marché “Adjégounlè“, situé en plein cœur du grand marché de Dantokpa. Dans la foulée, le gouvernement a suspendu l’Ordre des pharmaciens et créé l’Agence béninoise de régulation pharmaceutique (Abrp).

Aujourd’hui, le Bénin est l’un des rares pays africains à avoir ratifié la Convention Médicrime qui se veut une convention de droit pénal contre le trafic des faux produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique. Une convention qui permet au Bénin de criminaliser le trafic et la vente de médicaments contrefaits.

Malgré tout, ces mesures sont aussi en effet loin de dissuader les populations béninoises de se procurer ces médicaments de rue. Les faux médicaments circulent toujours et se vendent sous plusieurs formes. Alors que certaines vendeuses les dissimulent dans des paniers d’akassa ou encore parmi des pâtes dentifrices pour ne servir que des proches et personnes inspirant une certaine confiance, certaines vendeuses sont davantage prudentes. Il faudra passer à la commande et revenir quelques instants après pour récupérer les médicaments ou se faire livrer à domicile.

Un procès inédit, la complicité des grossistes-répartiteurs

En Février 2018, un procès inédit a eu lieu au Bénin pour la première fois pour une affaire médicaments. 9 personnes ont été condamnées à 4 ans de prison et 100 millions FCFA d’amendes chacun dont des responsables des grandes sociétés grossistes pharmaceutiques du Bénin. Un député à l’Assemblée nationale (au moment des faits), Atao Hinnouho est recherché par la police après perquisition de son domicile. Selon la police judiciaire, 94 tonnes produits pharmaceutiques ont été saisies à l’issue de la perquisition. Le procès a permis de savoir qu’au moins 5 gros répartiteurs s’approvisionnent régulièrement en médicaments et autres réactifs médicaux auprès du député.

Des documents (chèques, factures, fiches de statistiques, bons de commande et de livraison) ont montré que des grossistes ont reçu en moins de 24h, des commandes passées au laboratoire New Cesamex basé au Congo Kinshasa. Au même moment, au niveau des douanes béninoises, il n’y a pas de traçabilité de telles opérations de 2012 à 2017, avait indiqué le procureur de la République près du Tribunal de Cotonou, Ulrich Togbonon.

Cependant, bien avant cette affaire, en 2016, une société grossiste notamment l’Union béninoise des pharmaciens (UB PHAR) a été accusée de livrer des médicaments dans l’informel. Selon le Collectif des pharmaciens, la société grossiste a été prise en flagrant délit en train de livrer sur le marché informel alors que le bordereau de livraison renseigne que les produits sont destinés à une pharmacie située à Bobo Dioulasso au Burkina Faso.

D’une dangerosité avérée pour le bien-être, les faux médicaments sont définis comme étant des produits médicaux de qualité inférieure ou falsifiés, selon l’Organisation mondiale de la santé. Il est donc question des produits contenant les bons principes actifs mais sous-dosés ou sur-dosés, sans respect des normes de qualité ainsi que ceux ne contenant aucun principe actif alors que d’autres contiennent des impuretés ou des principes actifs que ceux annoncés.

Si l’Organisation mondiale de la santé estime les médicaments contrefaits tuent près de 100 000 personnes chaque année en Afrique subsaharienne, le dernier rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) précise que 270.000 personnes meurent chaque année en Afrique subsaharienne pour avoir consommé des médicaments antipaludiques falsifiés et de qualité inférieure.

Cet article a été rédigé par Aziz BADAROU dans le cadre de “La Richesse des Nations”, un programme panafricain de développement des compétences médias dirigé par la Fondation Thomson Reuters en partenariat avec TrustAfrica. Plus d’informations sur La Richesse des Nations. La Fondation Thomson Reuters n’est pas responsable des contenus publiés, ceux-ci relevant exclusivement de la responsabilité des éditeurs.

Source : Matin Libre

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