Historique des peuples d’Afrique : Reckya Madougou raconte l’épopée des Traoré, sa lignée

 

Mon Héritage : L’épopée des Traoré (1ère partie)

La célèbre citation de Socrate, «Connais-toi, toi-même», vaut le détour dans l’histoire que je suis sur le point de vous conter.

D’entrée, je vous exhorte vivement à remonter à vos origines. Interrogez les anciens de vos collectivités. Vous vous connaîtrez davantage vous-mêmes et comprendrez certains traits marquants qui vous paraissent sortis de nulle part au sein de votre fratrie ou chez vos enfants. Ceux et celles d’entre vous qui en savent suffisamment sur leurs origines, parlez-nous-en. Cela m’intéresse.

Mes chers Amazoniens et Amazoniennes,

Vous me connaissez sous le patronyme MADOUGOU. Mais comme c’est souvent le cas en Afrique, chaque individu appartient à un clan qui va au-delà de la famille et du nom porté par les différentes lignées. J’appartiens, pour ma part, à la généalogie des TRAORE. Nous sommes les « Trawêlê » ou « Trawêrê », en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Togo. Mais on retrouve les Traoré surtout au Mali et en Guinée. Ils sont également au Sénégal, au Faso, au Niger, au Nigeria… On les rencontre dans toute l’Afrique occidentale, suite au commerce caravanier notamment de l’or, du sel, de la cola qui fut à son paroxysme du 13ème au 16ème siècle.

Dans le septentrion au Bénin, chez les Dendi et chez les Baatombu ou Bariba, nous sommes désignés TAROUWÊRÊ ! Un rapide aperçu de ces deux ethnies : les Dendis constituent un peuple descendant de la dynastie des Askia qui régna sur l’empire Songhaï à son apogée au Mali entre Gao et Tombouctou au 15ème siècle. Les Baribas, quant à eux, désignent une population vivant au nord du Bénin, du Nigeria et du Togo et ayant pour ancêtre Kissira (Kisra ou Kissia), un empereur de la Perse antique (actuel Iran).

Il y a seulement trois générations en arrière, un riche commerçant d’or sur son cheval perché, atterrit dans le Nord de l’actuel Bénin. En provenance du Mali, il arpentait avec les siens, les vestiges des pistes du florissant commerce caravanier dans l’ouest-africain. C’est ainsi qu’au cours de l’une de ses expéditions, à l’étape de Parakou, ce grand commerçant fut happé par les feux de l’amour. Il s’amouracha d’une belle princesse Bariba au caractère bien trempé, du nom de Aïya Bona, et dont paraît-il que je suis la copie conforme.

Depuis ces clignotants amoureux, notre marchand d’or, surnommé Bâ Kiré sur sa terre d’accueil (signifiant en langue Dendi « Papa clair », une allusion faite à son apparence « Touareg »), ne quittera plus cette contrée. Il y prospéra et son fils, né de son union avec la princesse Baatonu, sera l’un des premiers intellectuels de la région.

Si j’ai eu la chance de bien connaître ce fils, qui n’est autre que mon grand-père prénommé Dramane Zakari, je n’ai hélas rencontré mon aïeul Bâ Kiré que grâce à un fabuleux portrait où on l’aperçoit enturbanné, sur un cheval cabré. La scène laisse à souhait décrypter son hardiesse par tout œil avisé. Mais pour l’instant, je m’en arrête là en ce qui concerne notre branche sur cet arbre généalogique des Traoré.

Selon les traditions maliennes, les Traoré, sont des Malinkés originaires des encablures de Kangaba (Ka’ba) dans le Mandé, région historique et berceau du puissant Empire du Mali. Car l’Empire du Mali est né à partir de cette province, sous le leadership de Soundiata Kéita. Le Mandé ou Manden ou encore Manding est le foyer historique de la communauté mandingue et s’étend du sud du Mali à l’est de la Guinée.

Selon de nombreuses sources historiques, et la tradition orale de ma famille, c’est donc cette région qui est le point de départ de la dispersion de mes ancêtres Traoré dans toute l’Afrique occidentale. Ils étaient les chefs de guerre de cet empire alors développé et aussi des commerçants prospères. À noter que le groupe mandingue comporte plusieurs ethnies dont les plus grandes sont les Malinkés, les Bambaras et les Dioulas. Également les Bobo-Dioulas et Soninké.

Autant vous avouer que depuis plusieurs années, je me passionne de recherches sur mes origines et l’histoire de mes ascendants dont je suis si fière. Je comprends de plus en plus que la génétique est une science quasi-exacte. Nous portons un code génétique qui se transmet sous une forme ou l’autre, de génération en génération.

En témoigne qu’aujourd’hui, dans un monde moderne où les guerres de conquête au sens premier du terme n’ont plus leur place, la combativité dans sa dimension noble n’a pour autant pas disparu du génome des Traoré, au fil des générations.

Mieux, comme j’ai déjà eu à l’indiquer dans l’un de mes essais («Soigner les certitudes», éd. Jean Jacques Willaume, disponible sur Amazon), nos grandes familles émanant de l’aire culturelle du riche et puissant empire Songhaï, gagneraient fort à valoriser leur héritage glorieux effacé par la colonisation et certaines civilisations hégémoniques. Un patrimoine aussi immatériel qu’inspirant ancré sur un quadruple plan :

 une organisation politique de référence;

 un système économique dominé par le commerce transsaharien qui a beaucoup à offrir à une réforme de la CEDEAO;

 une structuration sociale promouvant le vivre-ensemble avec d’autres communautés;

 un Islam prépondérant et culminant avec une culture des connaissances; un système éducatif séculaire ayant commencé à produire de grands intellectuels depuis des temps immémoriaux.

Me comprendront allègrement, les Traoré, Touré, Cissé, Sylla, Diarra ou Diarassouba, Koné, Diop (dont je découvre que certaines lignées sont aussi des Traoré), Diakité, Diabaté, Kéita, Coulibaly, Sangaré, Fofana, Kumaté (Konaté) et bien d’autres patronymes. De ces collectivités, l’anthropologue Denise Bégrand à la suite de ses recherches écrit : «Ils ne disent pas qu’ils s’appellent Traoré ou Cissé, mais qu’ils sont Traoré. (…) Ces groupes possèdent des devises par lesquelles on les salue. À la question que signifie ‘’Être Traoré ?’’, la réponse la plus intéressante a été ‘’Traoré est un attribut fort’’».

Dans ma lignée par exemple, notre devise de salutation ou de magnification est « Tarouwêrê siroun, monfô kpiri, monfô wa gaanni ». Traduction littérale du Dendi : « Brave Traoré, un œil en sang, l’autre œil en lait frais ». Une double référence au passé épique de nos ancêtres d’une part puissants guerriers et courageux monarques et d’autre part le croisement de notre lignée avec le gène des éleveurs, les Peuls, symbolisé ici par le lait. Les Peuls ou Foulani représentent un groupe ethnique à compétence majoritairement pastorale. Notre lignée Traoré à nous, est donc un métissage parfait de Malinké et de Peul.

Ce qui demeure constant, est que la symbolique du courage revient toujours dans les histoires de famille des Traoré. Dans un registre d’humour, nos frères Ivoiriens diraient «Peur ou découragement n’est pas Traoré».

Au titre des principales familles citées supra, c’est d’ailleurs Traoré que l’auteure Denise Bégrand évoquera au prime abord dans son livre consacré au commerce caravanier, au chapitre des familles regroupées sous la terminologie des «Wangara du Borgou». Elle a porté son intérêt sur le Borgou historique qui s’étendait du Nord-Est du Bénin (Parakou, Nikki, Kandi, Kouandé) à des régions du Nord-Ouest du Nigeria (Illo, Wawa, Yauri, Bussa); sans omettre l’importante frontière avec le Sud du Niger en pays Dendi/Djerma, autour de Gaya.

À la suite de ce récit, vous découvrirez bientôt une passionnante et inspirante histoire des Traoré en Afrique de l’Ouest.

Reckya MADOUGOU

#JeSuisTraoré

#EmpireSonghaï #PeuplesMandingues #PeupleMalinké

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La passionnante histoire des Traoré : Mon héritage (2ème partie)

Appelez-moi Dansira.  Car jadis, les filles Tarawele étaient systématiquement prénommées ainsi.

Avant-Propos

Je fus fascinée par le compte-rendu que m’ont fait mes proches de l’accueil inégalé réservé à la première partie de mon histoire portant sur l’héritage des Traoré et plus généralement des peuples originaires du Mandingue. Big-up à vous mes cousin(e)s d’ici et d’ailleurs ! Oui les frontières en Afrique relèvent d’une « aberration » née de la tristement célèbre conférence de Berlin, ayant fait de la partition de notre continent, un partage de gâteaux entre les puissants…

Le plus touchant pour moi a été de découvrir vos différentes réactions provenant de différents pays africains et diverses régions du Bénin, chacun se reconnaissant dans un pan ou l’autre du narratif.

Mon héritage devient ainsi le patrimoine de tous et j’en suis fort aise. Ne sommes-nous pas toutes et tous des enfants d’un même Père céleste ? Laissez-moi vous dire que j’ai également apprécié vos propres récits dont on m’a fait part. L’histoire des peuples de l’aire culturelle « Adja Tado » présentée par papa Hounkponou a particulièrement retenu mon attention car elle fait également référence à des migrations de populations en marge de nos frontières actuelles.

J’invite ceux qui ont loupé la première partie de mon récit, à s’y pencher et à s’enrichir également des contributions apportées dans les nombreux commentaires. Afin de mieux comprendre certains concepts, lieux géographiques et personnages évoqués dans cette seconde partie.

2ème partie

Qui sont les Traoré ?

Le patronyme Traoré est un nom traditionnel du Mandingue. Il est la francisation de Tarawèlè. Il signifie historiquement « le supérieur » (au sens hiérarchique dans la société mandingue), « le chef », « l’ancien ». il s’agit de l’un des noms les plus fréquents chez les Mandingue principalement Bambara, Malinké et Soninké.

De même, il est également très porté par le peuple Sénoufo. Les groupes Dioula pour leur part comptent aussi de nombreux Traoré. Étonnamment, saviez-vous que le principal nom noble mossi au Burkina Fasô, Ouedraogo, a pour équivalent le nom malinké Traoré ?

Comme développé précédemment, ils sont répandus dans toute l’Afrique occidentale voire au-delà. Traoré est le nom le plus fréquent au Mali, le douzième nom le plus courant en Côte d’Ivoire et le quinzième le plus porté en Guinée.

Epopée glorieuse des Traoré

Au 17eme siècle, un royaume sénoufo, le Kénédougou, a été fondé dans la région de Sikasso (actuel Mali), par Nianka Diabakane Traoré, lequel régna vers 1600. Naguère au 19ème siècle, tout près de nous, ont encore régné les Traoré. Il s’agit notamment des monarques (Mansa) suivants. Mansa Daoula Traoré, puis son frère Daoula Traoré qui régna jusqu’en 1862, détrôné ensuite par le désormais Mansa N’Golo Kounanfan Traoré. Le prince qui deviendra Mansa Tiéba Traoré, fils de Mansa Daoula Traoré, accéda quant à lui au trône en 1866 pour presqu’une trentaine d’années (1893) et hisse le royaume à son apogée sous son leadership remarquable, avec comme capitale Sikasso.

Après le décès de Mansa Tiéba Traoré, entre en scène son célèbre frère, Babemba Traoré, qui prend les rênes du royaume en lui succédant. Babemba est donc fils lui aussi de Mansa Daoula Traoré. Il engage une résistance farouche aux troupes coloniales françaises jusqu’à la chute de Sikasso le 1er mai 1898.

Mais l’épopée glorieuse des Traoré commence plusieurs siècles encore en arrière

L’histoire de la famille Traoré est indissociable de celle de Tiramakhan Traoré, un général mandingue ayant vécu au 13ème siècle. Après la victoire de Soundiata Keita face au roi Soumahoro Kanté, le nouveau roi du Mandé envoie ses généraux annexer de nouveaux territoires et c’est ce que fera brillamment Tiramakhan Traoré. Ce dernier fonde d’ailleurs le Kaabunké (aussi appelé royaume Kaabu) dans l’actuel Sénégal, après avoir vaincu le roi du Bainouk. Le clan Traoré commence à régner puissamment dans la région.

L’État du Kaabunké sera un territoire du Manden pendant presque trois siècles. Le Kaabunké était un état très bien organisé et structuré sous une forme assimilable à une fédération de provinces; ce qui était remarquable pour l’époque. Chacune des entités était dirigée par un Mansa. Mansa est un titre porté par les souverains de l’empire du Mali.

Le Kaabunké était également l’une des régions les plus économiquement prospères grâce à une agriculture florissante sur un territoire très boisé avec de vastes forêts, savanes et terres fertiles et grâce au commerce par l’intermédiaire des Malinkés ayant établi plusieurs comptoirs commerciaux.

Le royaume étant dirigé par des guerriers, ils protègent les agriculteurs et les commerçants. En dehors des épisodes de conflits internes entre nobles, le pays est sûr. Les routes commerciales sont sécurisées, ce qui permet aux caravanes commerciales et aux commerçants étrangers de traverser le Kaabunké sans difficulté.

Les thèses autour du nom Trawèlè

Plusieurs versions existent sur la signification du patronyme Trawèlè. La première (la plus connue) indique que Tarawele signifie «va l’appeler». Cette théorie tient son sens grâce au savant Solomana Kanté qui présente dans un de ces livres un guerrier du nom de Touraman Koroba (Touraman l’ancien) qui était un grand guerrier avant l’avènement de Soundiata. Il avait beaucoup défendu et protégé le Manden. Après sa retraite, le pays fut attaqué par une puissante armée ennemie qui était à deux doigts de triompher sur l’armée de Manden. Il aurait été décidé qu’il faille appeler le vieux Touraman au secours afin qu’il prête main forte à l’armée, pour vaincre l’adversaire. Je vous laisse imaginer la détermination de mon ancêtre à venir à bout de l’agresseur de son peuple.

Ainsi fut mobilisé le vieux Touraman. Il sella son cheval, alla combattre et réussit à sauver le Manden. Après cette éclatante victoire, les griots du Manden se mirent à louer les descendants de Touraman Koroba en ces termes «aw Bemba Tara wèlé ka kélé ban» (ce qui signifierait «ils ont fait appel à votre ancêtre pour vaincre l’armée ennemie»). Touraman est également l’ancêtre des deux frères héroïques Tarawele qui ont tué le buffle de la forêt de Do. Le grand frère Dan Massa Wulani a pris Diabaté comme patronyme tandis que le cadet Dan Massa Wulamba portait aussi le prénom de Touraman l’ancien. Ainsi, certaines lignées des Diabaté sont des Traoré.

Une seconde thèse (moins connue) indique qu’avant l’appellation Tarawele, le clan se nommait Trawoulé. «Tra» signifie «chaleur» et «Woulé» signifie «rouge». Trawoulé désigne ainsi un «dur à cuire». À noter qu’en Gambie le patronyme Traoré s’écrit Trawally.

En décembre 2020, toujours dans ma quête de mes origines, j’ai invité une griote Mandingue apparentée aux Traoré. Ses aïeux furent des griots pour les Traoré. Il est de grande notoriété que les griots dans la culture africaine représentent généralement des bibliothèques vivantes de transmission orale des histoires de familles. Le griot (djeli, djali) est un parolier qui, d’après les croyances mandingue, à travers l’exercice de son art, établit une communion, je dirais télépathique entre les descendants ici-bas et leurs ancêtres.

Me voici donc à l’écoute de ma belle et talentueuse griote, Mariam Sissoko, me chantant mes origines en Bambara. Pour la première fois, j’entendis une autre appellation dédiée au clan Traoré : «Taramahan, Taramanhansi». Ceci véhiculerait-il la prononciation non francisée du nom de notre ancêtre, le héros Touraman ? Je souhaite également creuser cette piste…

Par ailleurs, dans un registre irrationnel que je ne suis hélas pas en mesure de vous décrire avec exactitude, parce que relevant de l’ordre émotionnel, je continue de décrypter mes vives émotions lors de ces éloges épiques. Rassurez-vous, je ne comprenais absolument pas ces couplets, poussés en octave aiguë. Mais curieusement, les paroles de la chansonnette m’ont si tant émue que j’en ai écrasé bien des larmes. Un étrange mais agréable et fort sentiment d’appartenance à cette culture ancestrale m’avait envahi.

C’était comme si chacun de ces mots stridents atteignait directement mon âme. Une indescriptible connexion avec le passé s’était produite ce jour-là.

Conclusion

L’épilogue momentané de ma narration sera emprunté à un descendant d’une autre grande famille Mandingue, comptant également parmi la communauté des Wangara du Borgou (sur laquelle je reviendrai ultérieurement). Il s’agit de l’ambassadeur Omar Arouna, de son vrai patronyme, TOURÉ. Il écrit : « Lorsque mon père, fils unique de Mama Arouna Touré et Azia Zara, est inscrit à l’école, une erreur a changé le cours de notre histoire. A la question du transcripteur « De qui est-ce l’enfant ? »,

Azia Zara a simplement répondu « L’enfant d’Arouna », en référence au prénom de mon grand-père. De ce malentendu est né le nom de famille Arouna, éclipsant le nom Touré qui coule dans nos veines.» Ce type de témoignage est courant dans les sociétés africaines où souvent prénoms, petits noms, sobriquets, voire titres des ascendants sont légués en guise de patronyme à leur progéniture, par inadvertance ou ignorance. En tout état de cause, je t’invite à découvrir qui tu es…

Je n’oublie pas : un grand merci à vous pour vos intentions de prières et invocations du Tout-Puissant, le Très Miséricordieux en ma faveur.

Reckya Madougou

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Sources : Exploitation d’archives du Mali, de recherches émanant de traditions orales des familles et d’études publiées par plusieurs auteurs dont Denise Bégrand, Djibril M. Coulibaly.

Source : Matin Libre

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