Vecteur d’identité socio-culturelle: Le panégyrique clanique, face à l’épreuve des temps modernes

Il était considéré comme un des vecteurs clés des identités socio-culturelles au Bénin. Ayant comme repère l’oralité, il se transmettait de générations en générations. À l’ère du web 2.0, le panégyrique clanique semble perdre toute cette place dans les habites à Cotonou et environs. Et pour cause…

 

Il est appelé akὄ en Fon, oriki en Yoruba, zemyo en Dendi… Autrement, le panégyrique clanique malgré ses nombreuses appellations, ne varie pas dans sa définition. En tout cas, pas dans l’idée qu’il véhicule, selon les spécialistes. « Le panégyrique clanique se résume en des paroles laudatives, pour raconter les hauts faits et expliquer les origines d’une famille, d’une collectivité ou d’un clan. Ces paroles ayant un sens originel, sont une source d’informations, pour remonter aux origines d’un groupe socio-culturel. À travers le panégyrique clanique, le chercheur ou tout simplement le curieux peut mieux se renseigner sur ses origines. En clair, il rapproche les uns des autres et peut être un élément de cohésion sociale », explique d’entrée Docteur Franck Ogou, Historien et Spécialiste du patrimoine. Pour lui, le panégyrique clanique, en dehors d’être un vecteur de brassage socio-culturel, a une importance capitale pour tout individu, dont les réalités sociétales font appel à ses paroles. Il va plus loin et démontre : « Moi, je me rappelle que dans mon enfance, quand ma maman voulait me calmer ou me confier une grosse tâche ménagère, elle me récitait mon panégyrique et cela continue jusqu’à ce jour ». Dans les familles royales où la tradition est toujours de mise, l’on assiste à une sorte de déification du panégyrique. La question est prise au sérieux au point où certaines lignées s’assurent en bonne et due forme de sa transmission, à leurs descendants. C’est le cas chez Adebayo Idohou, issu de la famille royale Idigny de Kétou, dans le département du Plateau. Pour ce jeune cadre, le panégyrique clanique adoucit les mœurs. Il explique qu’une femme peut le réciter à son mari mécontent, instant de le calmer dans une situation de colère. « Et au bébé lorsqu’il pleure, on le lui récite, pour le calmer et le faire revenir à de meilleurs sentiments. Il y a une force terrible là dedans. Ça devient en quelque sorte un calmant », avoue-t-il. Ainsi, l’unanimité faite autour de l’importance du panégyrique clanique est patente. C’est ce qui se dessine également dans les propos de Louise Aholou, marchande à la retraite. Pour cette sexagénaire rencontrée chez elle à Cotonou, toute question sur le panégyrique clanique mérite d’être analysée. « En notre temps, le panégyrique clanique nous permettait de nous identifier entre collectivités, partout où nous nous retrouvions. Je suis Zangbidi de Porto-Novo. Et même arrivée à l’entrée de la ville, il me suffit de commencer par réciter mon panégyrique à quelqu’un, pour qu’on identifie rapidement ma collectivité, afin de m’orienter vers ma grande famille ou collectivité. Voilà entre autres, une vertu du panégyrique clanique, chez nous », souligne-t-elle d’un ton ému.

De plus en plus dans l’oubliette…

Malgré toutes ces auréoles, le panégyrique clanique peine à être transmis. Louise Aholou l’atteste et exprime sa déception quant au peu d’importance que la plupart des jeunes accordent aujourd’hui à leurs panégyriques claniques respectifs. « Mon fils (pour désigner le journaliste, ndlr), tout a changé. Nos enfants ne s’intéressent plus à leurs panégyriques. Ils n’ont visiblement pas ce temps. Tu rencontres certains qui ne savent rien de leurs origines, qui ne s’y intéressent même pas. Comment vont-ils alors avoir une idée de leurs panégyriques claniques ? », s’interroge-t-elle. Parlant de ces jeunes désintéressés, on peut distinguer Aimée Djidonou. Étudiante en droit, elle ne peut, du haut de ses 21 ans d’âge, réciter son panégyrique, sans qu’on l’y aide. « C’est papa qui sait réciter cela, moi je n’y connais grande chose », dit-elle, en souriant. À l’instar d’elle, plusieurs d’autres catégories de jeunes ne savent rien de l’importance à accorder au panégyrique clanique. Alex Mèkpagbé, jeune informaticien résidant à Sèkandji, fait aussi partie du lot. Pour lui, il entend juste parler. Personne ne lui a permis de cerner la question du panégyrique clanique, encore moins ses parents. Des allégations non étrangères à son père Joachim, qui dans ses explications évasives, semble ne jamais entretenir ses progénitures sur le sujet. « Papa n’aime pas qu’on s’intéresse à ces choses, je ne sais pas pourquoi. Il est là, posez-lui des questions…(rires) », a fait savoir.

Une démission constatée des parents…

Si dans la famille d’Alex, la transmission du panégyrique clanique n’est pas faite de père en fils, ce n’est pas le cas chez Louise Diogo. Elle assure que tous ses enfants malgré le fait qu’ils soient nés à Cotonou, maitrisent au bout des lèvres, leurs panégyriques claniques. « Il ne peut en être autrement », rassure-t-elle. « Eux tous, ils connaissent le panégyrique clanique de leur père ainsi que le mien. Je n’accuse pas les enfants qui ne peuvent pas réciter leur panégyrique. Il faut qu’ils se l’approprient d’abord, avant d’être capables d’en réciter. Et ce rôle revient à leurs parents. Si ces derniers ne récitent pas à leurs enfants leurs différents panégyriques, c’est impossible que leur progéniture y comprenne grande chose », explique-t-elle. Pour le prince Adebayo, la récitation du panégyrique s’accompagne même du tam-tam, dans sa famille. Ceci, à l’en croire, pour revivre sa culture dans toutes ses dimensions, et perpétuer la transmission des paroles d’honneur que véhicule le panégyrique clanique, de générations en générations. Le spécialiste du patrimoine fera lui aussi le même diagnostic. Il accuse en effet à son tour les parents. « Il faut d’abord que les parents eux-mêmes connaissent les panégyriques, pour les transmettre à leurs enfants. Il y a une certaine fierté quand on écoute les louanges de sa famille en tout cas. Au-delà de ma profession, c’est quelque chose qui m’a toujours fasciné et qui continue de me fasciner. Pour que nos traditions se perpétuent, nous devons encourager les parents à abreuver leurs enfants à la source de l’histoire. Cela façonne leur identité et renforce leur éducation », conclut Docteur Franck Ogou. Le panégyrique clanique, quel que soit ce qu’il devient, fait partie de l’identité culturelle et sociétale, des peuples du Bénin. Il faut dès lors, que les ascendants assurent efficacement sa transmission à leurs enfants. Cela, malgré l’oralité qui caractérise l’histoire africaine en général et celle béninoise en particulier.

Janvier GBEDO

Source : Matin Libre

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